Homélie du Pardon de La Baule

Dimanche 22 août 2021 – Pardon de La Baule

Homélie prononcée par Mgr Benoît BERTRAND

De mai à octobre, cantiques et litanies s’élèvent vers le ciel armoricain. En même temps se hissent dans des processions colorées bannières, croix, reliques, statues de saints portées par des hommes ou des femmes en costume traditionnel. Les 1200 pardons bretons constituent une spécificité du folklore local. Ils expriment aussi, et façon remarquable la foi, la piété et la dévotion du peuple breton envers ses saints protecteurs.

A Sainte Anne d’Auray, Tréguier, Guingamp, mais aussi à Batz-sur-Mer, à Notre-Dame du Folgoët, sans oublier la « Grande Troménie de Locronan » et le Tro-Breiz, des assemblées importantes se réunissent en des messes solennelles pour obtenir ou exécuter un vœu, demander des grâces et surtout faire une démarche de pardon ! Je viens de prononcer un mot : pardon !

Le pardon est probablement l’une des interrogations humaines les plus profondes… Nous avons tous en mémoire l’image de pardons exemplaires : celui prononcé par la fille du président du Conseil italien Aldo Moro à l’égard des deux assassins de son père, celui de la libanaise Tracy Chamoun envers les factions responsables du massacre de sa famille, celui de Saint Jean-Paul II envers Ali Agca, le pardon du P. Christian de Chergé, moine martyr de Tibhirine, ou encore celui de la famille du Père Jean-Luc Cabes, prêtre du diocèse de Tarbes et Lourdes, poignardé à mort par un jeune voleur de voitures…

Ces exemples ont connu un grand retentissement mais impossible aussi d’oublier l’actualité du pardon dans la vie conjugale, dans nos familles (question d’héritage, conflits entre générations, jalousie entre frères et sœurs, divorce). Impossible d’oublier l’actualité du pardon dans les communautés religieuses et même dans les presbytères… Et je ne me risquerai pas à vous donner la parole pour que vous évoquiez, chacun, la joie ou l’incompréhension ressenties après un pardon accordé ou refusé…

Oui, on n’aura jamais trop de temps pour parler du pardon parce que le pardon c’est inouï… c’est fragile ! Il nous faut, sans doute, commencer par dissiper des malentendus. Nous dire ce qu’il n’est pas pour mieux en comprendre la signification…

Les malentendus tout d’abord… et pour les découvrir, il suffit d’écouter ce qui se dit autour de nous.

# 1er malentendu, le pardon des chrétiens c’est trop facile, beaucoup trop facile… On efface tout et on recommence. Il arrive même qu’on fasse beaucoup d’humour à ce sujet ! Non, le pardon n’est pas l’oubli ! Nous avons même une mémoire, Dieu nous l’a donnée précisément pour ne pas oublier. Bâtir sérieusement l’avenir, c’est toujours faire mémoire du passé, même quand il est douloureux, pas très glorieux ! Faire mémoire du passé, pour le dépasser. Relire son histoire pour essayer de l’assumer, unifier sa vie pour mieux la regarder en face.

# Et du coup, le 2ème malentendu, ce serait d’affirmer que le pardon c’est quand même trop difficile. Et là, vous voyez certainement ce que je veux dire… L’aveu, aller demander pardon à Dieu ou à son frère, rencontrer un prêtre… quelle humiliation ! Beaucoup disent « Mais vous êtes masos… » ! On a, d’ailleurs parfois, présenté une image morbide du pardon. Il devient un tribunal… et à force de confondre humiliation et humilité, on a fini par refuser, par rejeter une telle démarche :« Non, non ce n’est pas pour moi, c’est trop dur ! »

# Le pardon, c’est trop facile, c’est trop difficile, 3ème malentendu, le pardon est inefficace car je retombe sans cesse dans les mêmes travers, le même péché… « C’est lassant, désespérant, ça ne change rien, rien du tout… ». Nous oublions souvent qu’une démarche de pardon passe aussi par la conversion du coeur, c’est-à-dire un travail, un travail à faire sur soi… Dieu ne nous sauve pas contre nous. Le pardon est offert, c’est une grâce, un don de Dieu mais il n’est pas automatique, notre liberté doit être engagée, associée, rendue participante à l’oeuvre du Seigneur.

# 4ème malentendu, le pardon n’est pas une simple affaire de sensibilité. Pour pardonner à des parents, des enfants, un ami, il faut une décision et pas seulement un grand élan du cœur… une décision qui mobilise bien sûr nos sentiments mais aussi notre intelligence et notre volonté. Pardonner, c’est décider de pardonner… une décision qui n’appartient pas simplement au registre de l’affectivité mais aussi à celui de la volonté.

Pardonner, c’est décider d’aimer : choisir, consentir d’aimer malgré tout… et aimer malgré tout cela ne se fait pas du premier coup… Aujourd’hui à l’égard de telle personne dans votre famille, dans votre entourage, à l’école ou à l’entreprise, le pardon c’est impossible… Peut-être ! Aujourd’hui certainement puisque vous le dites mais dans huit jours, dans six mois, dans un an ne renoncez pas ! Le pardon, c’est aussi un chemin.

Le pardon est donc à manier avec précaution car il est source de nombreuses incompréhensions mais nous sommes nombreux ici, ce matin, à pouvoir dire à quel point le pardon rend libre quand il est vécu, célébré avec un frère et avec Dieu.

Tenez, écoutez ce récit bouleversant, une histoire vraie, celle de Frédéric. La scène se passe le 5 octobre 1984 à la cour d’Assise de Paris. Frédéric, 19 ans, a tué, d’un coup de révolver, Chantal, 19 ans, qu’il aimait pourtant. Crime passionnel, dit-on ! Voici ce qu’a confié, devant la cour, le père de Chantal, je cite : « S’il fallait me décrire, je dirais que je suis d’abord un père, ensuite un catholique et je veux faire passer cela dans ma vie. Je ne vous dirais pas ma peine… mais je sais que ma fille Chantal est dans la Vie, qu’elle est heureuse. Ma situation est beaucoup plus enviable que celle des parents de Frédéric. Je ne serais d’ailleurs pas plus ému si c’était un de mes fils qui se trouvait à sa place. Mon souci aujourd’hui, c’est Frédéric. Je veux l’aider pour que sa vie ne soit pas gâchée… Mon souci, c’est son avenir quand il sera sorti de prison. J’ai beaucoup prié pour lui et je continuerai à le faire… ». La mère de Chantal prend alors la parole : « Notre premier cri quand nous avons appris la mort de notre fille a été en pensant à Frédéric, ce malheureux…Eh bien, je veux vous dire que j’ai pardonné ! Puis un jour, j’ai reçu une lettre de Frédéric nous demandant à son tour pardon. Nous avons mesuré que pour lui la situation était suffisamment éprouvante sans avoir à en ajouter… ». Puis la maman conclut : « C’est ensemble que nous aiderons maintenant Frédéric ! »

Au cours du procès, le jeune homme fait savoir au président qu’il a demandé à son avocat de ne pas plaider. Et dans son réquisitoire, l’avocat général déclarera : « Jamais nous n’avons entendu d’aussi belles paroles dans cette enceinte de justice… ». Avant la délibération du jury, c’est l’accusé Frédéric qui, conformément à la règle, a droit au dernier mot. « Je voudrais, dit-il, être digne de la confiance des parents de Chantal ! ».

Mes amis, nous sommes ici devant la folie de l’amour ! Oh, on ne demande pas à tout le monde d’aller jusque-là mais si seulement nous pouvions y tendre… Et, surtout, ne disons jamais qu’un pardon ne change rien… Le pardon est un chemin, c’est une grâce à demander, une grâce de fraternité. Faire l’expérience du pardon avec Dieu pour mieux le vivre avec nos frères… Pardonner jusqu’à 70 fois 7 fois ! Tout l’Evangile chante finalement la disproportion entre ce que nous sommes et ce que nous pouvons devenir dans la grâce du pardon. Dieu n’attend pas que nous changions pour nous pardonner, mais il nous pardonne pour que nous changions ! A tous, belle fête et sainte fête du Pardon de La Baule.

 

 

 

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