Évangile du 23 octobre

Lectio Divina du 23 octobre 2022 : 30e ordinaire (C)

Évangile de Jésus Christ selon st Luc (Lc 18, 9-14)

En ce temps-là, 09 À l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici :
10 « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts).
11 Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : “Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain.
12 Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.”
13 Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !”
14 Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »

Lecture ligne à ligne

En ce temps-là, 09 À l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes

La parabole précédente, lue dimanche dernier, celle du juge inique et de la veuve (Lc 18, 1-8) nous était présentée :
01 Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager (Lc 18, 1)
Bref, l’évangéliste nous donnait l’objet dès le début. Celle-ci au contraire est adressée « à certains qui étaient convaincus d’être justes ».
Autrement dit, nous avions l’objet de la parabole qui précède et nous avons le sujet de celle-ci. Saint Luc avait déjà fait ainsi au chapitre 14 :
07 Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places (Lc 14, 7)
Ou pour les paraboles de la miséricorde :
01 Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
02 Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
03 Alors Jésus leur dit cette parabole (Lc 15, 1-3)
Il s’agira pour nous de comprendre ce qu’il veut leur faire comprendre pour pouvoir découvrir comment à notre tour, nous conformer à la volonté du Seigneur.
D’ores et déjà, nous comprenons le sous-entendu : ils sont convaincus d’être justes mais le sont-ils ?

Et nous ? Sommes-nous de ceux qui sont convaincus d’être justes ? Sommes-nous capables de recevoir l’enseignement qui vient sans orgueil, sans fausse modestie mais en vérité ?

et qui méprisaient les autres,

Voici le fond du problème ! Il y avait déjà le jugement sur soi, sans doute erroné : “ ils se croyaient justes”, mais maintenant voici le jugement sur les autres. Le cantique de la sainte Vierge nous avait déjà mis en garde contre ce type de comportement :
51 Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. (Lc 1, 51)
Mais Jésus lui-même nous dit de façon plus explicite encore :
37 Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. (Lc 6, 37)

Et nous ? Avons-nous parfois tendance à juger, à condamner, à mépriser ? Parfois, on s’excuse à bon compte en accusant les autres, c’est bien de cela qu’il semble être question ici. Sommes-nous attentifs à ne pas nous laisser aller à ce genre d’attitude. Au contraire, nous sommes invités à contempler nos propres limites et défauts pour mieux comprendre les faiblesses des autres. C’était par exemple le sens de la parabole :
41 Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ?
42 Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil”, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. (Lc 6, 41-42)

Jésus dit la parabole que voici :

Comme presque toujours, Jésus leur parle en parabole, non en direct. Il a expliqué lui-même pourquoi :
10 Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? »
11 Il leur répondit : « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux, mais ce n’est pas donné à ceux-là.
12 À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a.
13 Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, et qu’ils écoutent sans écouter ni comprendre.
14 Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe : Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.
15 Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent, – et moi, je les guérirai. (Mt 13, 10-15)
Jésus explique donc que le cœur alourdi du peuple l’empêche de se convertir et d’être guéri par Dieu. Dès lors, ils ne comprennent pas la vérité révélée par Dieu parce qu’ils ne veulent pas la comprendre. En parlant en parabole Jésus vient voiler cette vérité trop dure à accueillir pour des cœurs lourds. C’est une pédagogie pour les obliger d’abord à ouvrir leur cœur avant de s’ouvrir à la Parole. Mais c’est aussi pour que ceux qui n’en sont pas dignes, ceux qui refusent d’écouter ne reçoivent pas des mystères auxquels ils sont étrangers. Nous retrouvons là une autre parabole :
06 « Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré ; ne jetez pas vos perles aux pourceaux, de peur qu’ils ne les piétinent, puis se retournent pour vous déchirer. (Mt 7, 6)
Parabole aussitôt suivie de l’explication en forme d’injonction :
07 « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira.”(Lc 7, 7)
Cela explique que pour être digne de ce qui est sacré, des perles que Dieu nous donne, il faut les désirer et les rechercher. Celui qui ne se donne pas la peine de chercher à comprendre les paraboles n’est pas digne de la Révélation qu’elles contiennent. Peut-être que nous ne comprendrons pas, peut-être que nous interpréterons mal et que nous nous tromperons, mais si nous cherchons, le Seigneur lui-même nous éclairera. Si par contre nous nous contentons de notre vie de péché, nous sommes comme des pourceaux dans leur fange ; si nous nous contentons de ce qui est à portée de main sans faire d’efforts pour suivre la volonté de Dieu, nous sommes comme des chiens… Si par contre, nous comprenons que nous sommes faibles, pauvres, pécheurs, ignares et sans intelligence, alors nous allons “demander”, “chercher” et “frapper”, et le Seigneur lui-même nous donnera les explications, nous permettra de trouver le sens véritable de ces paraboles et nous ouvrira à l’intelligence des écritures. (cf LC 24, 45 : Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures.)

Et nous ? Avons-nous le cœur ouvert pour entendre la Parole de Dieu ? Comment demandons-nous ? Cherchons-nous ? Frappons-nous ? Pouvons-nous nous rappeler d’au moins une méditation ou d’une formation qui nous a fait découvrir quelque chose de nouveau sur la Parole de Dieu et qui nourrit notre vie ?

10 « Deux hommes montèrent au Temple pour prier.

Dans les paraboles, on trouve facilement deux personnes différentes : deux débiteurs (Cf. Lc 7, 41 ss), deux fils (LC 15, 11ss), deux maîtres (Dieu et l’argent Cf. LC 16, 13). Au jour du jugement, il y aura deux personnes dans un lit, deux femmes à moudre du grain… (CF Lc 17, 34-35) C’est presque toujours pour les opposer. Alors que dans la réalité, Jésus envoie les disciples deux par deux… c’est pour qu’ils fassent équipe et se complètent, qu’ils expérimentent et témoignent de l’amour fraternel.
Ici dans un premier temps, ils semblent pourtant réunis : même destination et même action.

Et nous ? Comment vivons-nous nos rapports avec les autres ? Dans l’indifférences, dans le conflit, dans l’amitié et le service mutuel ? Serons-nous des témoins de l’amour dont Jésus a fait le premier commandement, et comment ?

L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts).

Voici l’opposition qui se précise. Les pharisiens étaient des observateurs très stricts de plus des 600 commandements de la loi, non seulement pour eux, mais aussi pour le peuple qu’ils n’hésitaient pas à reprendre, corriger ou admonester pour tout manquement. Les publicains, au contraire, étaient exclus du peuple pour collaboration avec l’occupant romain et donc rupture avec la loi.
Ce n’est pourtant pas la première fois que Jésus va stigmatiser cette opposition en la prenant à revers, pour choquer les esprits et changer les mentalités. Ainsi avons-nous déjà cité le début du chapitre 15, mais plus explicite encore :
Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu.
32 Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. (Mt 21, 31-32)

Et nous ? Nous reposons-nous plutôt sur nos titres, nos situations ou notre réputation ? Ou bien avons-nous le courage de nous regarder en vérité pour ne pas nous cacher derrière de fausses excuses ou des faux-semblants ?

11 Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même :

Prenons quelques instants pour voir les autres textes où quelqu’un se tient debout dans l’évangile de saint Luc :
L’ange du Seigneur lui apparut, debout à droite de l’autel de l’encens. ( Lc 1.11)
Mais lui connaissait leurs raisonnements, et il dit à l’homme qui avait la main desséchée : « Lève-toi, et tiens-toi debout, là au milieu. “L’homme se dressa et se tint debout.
( Lc 6.08)
Zachée, debout, s’adressa au Seigneur : « Voici, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. »
( Lc 19.08)
Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. » ( Lc 21.36)
A chaque fois, il s’agit de manifester soit une force (comme celle de l’ange ou des disciples priants), soit une détermination et une résolution comme pour Zachée pour l’homme guéri. Le Pharisien debout est donc en train de témoigner de sa force et de son assurance dans la prière.
Quant à la mention “en lui-même”, nous savons bien qu’elle traduit un enfermement comme celle du riche insensé :
19 Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.”
20 Mais Dieu lui dit : “Tu es fou… (Lc 12, 19-20)

Et nous ? Quand nous sommes devant Dieu, sommes-nous plein d’assurance et de force ou pauvres et petits ? Sommes-nous tournés vers Lui ou recroquevillés sur nous-mêmes ?

“Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –,

Voici le jugement : “ils sont voleurs, injustes, adultères”. Quelle que soit la véracité de ces paroles, la généralisation est toujours un problème ; ce n’est pas à cet homme de condamner, même les auteurs de tels crimes. C’est une chose de dire : “ le vol, l’injustice ou l’adultère sont des péchés”, c’en est une autre de dire à son frère, qui a peut-être commis de tels actes, “tu es un pécheur”. Nous pouvons condamner les actes, nous ne sommes pas capables de juger nos frères car nous ignorons le fond des cœurs, les circonstances et la liberté de chacun…
Voilà un autre jugement : ‘je ne suis pas comme les autres hommes”. C’est un auto -jugement qui est sans doute aussi erroné que le premier. Il est si facile de condamner les péchés des autres et de refuser de voir les siens…
Enfin, voici une ultime erreur : cet homme rend grâce à Dieu, non pas pour ce que Dieu a fait, mais pour ce que lui-même estime être.
Peut-on rendre grâce à Dieu de ce que nous faisons ou pensons ? Sans aucun doute, nous le pouvons si nous attribuons à Dieu les actes que nous faisons. C’est la conséquence de ce que Jésus nous a révélé :
“en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire”. (Jn 15, 5)
C’est aussi en résonnance avec la phrase du discours sur la montagne :
“Voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. (Mt 5, 16)
Où le bien que nous faisons est attribué à Dieu.”
Mais le pharisien peut-il justement attribuer à Dieu un jugement qui condamne tous les hommes sans distinction ? Peut-il attribuer à Dieu un jugement où il néglige toutes ses propres faiblesses ? Il prétend s’adresser à Dieu et lui rendre grâce mais en fait, il se retourne sur lui-même et s’enorgueillit de ce qu’il fait. Saint Paul nous mettra bien en garde contre cela :
07 Qui donc t’a mis à part ? As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? (1 co 4, 7)

Et nous ? Sommes-nous fiers de nos qualités ? Ou en sommes-nous reconnaissants à Dieu ? Tirons-nous orgueil de nos réussites ? Ou en rendons-nous grâce à Dieu ? Pouvons-nous regarder nos dernières réussites et comprendre comment elles sont, en fait, plutôt imputables à Dieu et que nous en sommes les premiers bénéficiaires ?

ou encore comme ce publicain.

Non seulement, il est facile de percevoir tout le mépris de cet homme pour le publicain, mais surtout il est facile d’opposer le regard qu’il lui porte à l’attitude juste de Jésus. Rappelons-nous l’appel de Lévi :
14 En passant, il aperçut Lévi, fils d’Alphée, assis au bureau des impôts. Il lui dit : « Suis-moi. » (Mc 2, 14)
Un simple regard a permis à Jésus de voir l’apôtre sous les traits du publicain. Il en va de même pour Zachée :
05 Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » ( Lc 19, 5)
Jésus lève les yeux pour voir le fils d’Abraham plutôt que le pécheur. C’est cette capacité à ne pas juger, à appeler et à sauver qui caractérise Jésus et qui manque tant au pharisien de la parabole.

Et nous ? Quel regard posons-nous sur nos frères ? Sommes-nous capables de déceler le bien en eux et en toute chose, plutôt que de les juger, de les condamner, de les réduire au mal qu’ils ont pu faire ? Ne négligeons pas ce souci de toujours voir le bien qui ne signifie pas que le mal est oublié, mais que nous ne nous y arrêtons pas. L’acte mauvais est condamné, le frère est pardonné car il ne se réduit pas à son péché. C’est sans doute l’un des sens de la béatitude :
08 Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. (Mt 5, 8)
Voir Dieu c’est déjà reconnaître son image en tout homme, son fils en tout frère !

12 Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.”

L’affaire est claire : il ne parle que de lui et de ce qu’il fait. Et surtout, il ne demande rien. Un homme qui prie vraiment, qui se retrouve vraiment devant Dieu, ne peut que constater sa faiblesse et la grandeur de son interlocuteur. Devant un tel déséquilibre, il peut bien y avoir un temps d’émerveillement qui pousse à la louange, un temps de reconnaissance qui pousse à l’action de grâce, mais toujours, il y a la demande, demande de pardon pour nos péchés et demande de grâce pour grandir et mieux agir, pour aimer et mieux s’unir à Dieu. Ultimement, même notre louange devient demande : nous voulons pouvoir louer plus, être ainsi comblés de la splendeur de Dieu. Ultimement, même notre action de grâce est demande, demande de ne jamais manquer de la grâce de Dieu, de ne pas devenir ingrats… Mais voici que chez cet homme il n’y a ni demande, ni contrition. Il n’y a pas de louange véritable puisque ce n’est pas Dieu mais lui qu’il regarde et l’action de grâce n’est que factice puisqu’il se satisfait de lui-même, sans aucune reconnaissance de son besoin de Dieu et de l’œuvre de Dieu en lui.

Et nous ? Pouvons-nous regarder de plus près notre prière ? Est-elle composée d’action de grâce (remerciements), de louange (émerveillement), de demande de pardon (contrition) et de demande de grâce ? Est-ce que notre action de grâce est en même temps reconnaissance de notre besoin de la grâce de Dieu et demande de fidélité ? Est-ce que notre louange est en même temps perception de notre faiblesse, de notre indignité, de notre incapacité à faire le bien par nous-même, sans Dieu. Est-elle demande humble de pouvoir rester dans le cœur de Dieu ? Est-ce que notre contrition est aussi demande de réconciliation et de force pour ne pas retomber, pour progresser ? Est-ce que toute nos prières ont l’humilité de celui qui sait qu’il reçoit tout de Dieu et doit tout attendre de Lui ? Mettons-nous toutes nos forces à demander à Dieu de faire de nous des saints ?
Un simple constat pourra nous conforter dans cette attitude : la prière du Seigneur, le Notre Père n’est composé exclusivement que de sept demandes. La prière n’est que demande si elle ne veut être orgueilleuse. Bien sûr, elle est aussi communion, action de grâce car ce sont des demandes humbles et reconnaissantes, des demandes amoureuses, mais même l’introduction “notre père qui es au cieux” est déjà une demande de reconnaissance de filiation et de contemplation du lieu où nous demandons tous d’aller : le ciel de Dieu.

13 Le publicain, lui, se tenait à distance

On peut se demander “à distance de quoi” ? Le temple est composé de vastes cours centrées sur le bâtiment central avec l’autel, le vestibule, et le saint des saints. Mais là, ce sont les prêtres qui officient. Pour les autres, il n’y a pas de lieu particulier où être. Il n’y a pas de première place ou de lieu privilégié. Alors ? Il est vraisemblable qu’il se tiennent simplement à distance du pharisien parce qu’il ne veut pas gêner sa prière, parce qu’il se sait “hors la loi” et donc considéré comme impur, et qu’il ne veut pas lui être désagréable. En fait, comme les lépreux se tenaient à distance des gens sains, le publicain se tient à distance de celui qui pense être saint !
Cette attitude est l’exact inverse de celle du pharisien. Lui ne juge pas l’autre, il le respecte, sans doute même l’admire-t-il. En tout cas, il prend soin de lui, de ne pas le gêner.

Et nous ? Nous nous sommes interrogés plus haut sur notre capacité à mépriser ou à juger, pouvons-nous maintenant plutôt interroger notre capacité à prendre soin et à aimer ? La sainteté n’est pas seulement d’éviter le mal, nous en sommes bien incapables, mais surtout de choisir le bien, d’aimer, ce que Dieu fera en nous si nous le laissons faire ; si nous le lui demandons, si nous y coopérons.

et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ;

Après le regard sur les autres, le regard sur lui-même. Là encore c’est l’exact opposé du pharisien. Le premier se tenait debout, lui le regard baissé n’osant le relever. L’un s’admirait lui-même et renforçait son orgueil en rabaissant les autres, l’autre s’abaissait lui-même et reconnaît la grandeur et la sainteté de Dieu dont il ne s’estime, même pas digne de regarder dans sa direction.
Être capable d’admirer Dieu et ses frères, voilà le premier pas de l’humilité et de l’amour véritable. Voilà qui coupe toute tendance à l’orgueil ou à la jalousie, qui éloigne la convoitise ou la colère. L’amour est le contraire de tous les péchés ; l’admiration (quand elle ne devient pas servile) est le premier pas vers un amour véritable.

Et nous ? Avons-nous l’habitude d’admirer l’œuvre de Dieu autour de nous et en nous ? Et sommes-nous capables de faire la même chose avec nos frères : voici sa qualité principale, voici ce qu’il m’apporte et apporte aux autres, voici pourquoi je suis meilleur grâce à lui…

mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !”

L’opposition continue : la première chose qu’il fait est de s’accuser lui-même et la deuxième est de demander à Dieu son pardon. Sa prière est authentique puisqu’elle est une demande vraie. Sa demande est vraie puisqu’il n’est pas rempli de lui-même ou satisfait de lui-même, mais conscient de sa pauvreté et ouvert à recevoir de Dieu le pardon et la grâce.
Notons qu’il prie avec son corps, autant qu’avec sa tête : il se frappe et il dit… Quand le pharisien se sert de son corps pour se tenir debout face à Dieu, le publicain exprime, même dans son corps, sa contrition et sa prière.

Et nous ? Approfondissons toujours notre prière. Qu’elle soit demande certes mais pas seulement demande de pardon ou de redressement. Il faut que la demande “soit favorable”. Ne nous laissons pas aller à ne regarder que le mal (même pour le combattre), mais choisissons et accueillons le bien que Dieu fait et donne avec largesse.

14 Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre.

Voici qui rejoint donc la phrase déjà citée :
Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. (Mt 21, 31)
Mais il faut noter deux choses en plus : on parle d’homme juste, et on dit qu’il l’est devenu.
– Quand on parle de justice ici, il ne s’agit pas seulement de droit et de légalité. Il ne s’agit même pas de la vertu humaine de justice qui consiste à observer la mesure et la vérité en toute chose pour que notre action soit conforme au bien commun. Il s’agit ici d’être juste devant Dieu, c’est-à-dire d’être ajusté à Dieu. Autrement dit, il nous faut apprendre à correspondre en toute chose à la volonté et au plan de Dieu sur nous. Quand Dieu me demande d’aimer et que je respecte, accueille et prend soin de mes frères, je suis ajusté à sa demande, je suis juste devant Lui. Mais si je deviens orgueilleux ou méprisant et je juge et condamne, je ne suis pas juste, même si je dis des choses vraies (ma phrase est juste mais moi je ne le suis pas). De même qu’il faut distinguer le pécheur du péché, il faut distinguer la justice (qui rend compte de ce qui est vrai et bien) et la justesse qui me place devant Dieu et dans son plan d’amour. Elle n’est pas contraire ou contradictoire de la justice (qui reste indispensable) mais va plus loin. C’est une autre façon d’exprimer ce que dit si bien saint Jacques :
Car le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde, mais la miséricorde l’emporte sur le jugement. (Jc 2, 13)
– Le publicain est devenu juste. Cela signifie qu’il ne l’était pas avant, mais plus encore, cela signifie qu’il est passif dans cette transformation. C’est Dieu qui justifie et non pas l’homme. Il prend l’initiative de nous justifier quand nous reconnaissons notre manque de justesse et de sainteté et notre incapacité à conquérir par nous-même ces qualités, mais aussi et surtout quand nous manifestons notre désir d’aimer, d’être aimé, de faire confiance et de mériter cette confiance non par ce que nous avons fait mais par ce que nous ferons quand Dieu nous aura comblé de sa grâce : nous lui serons fidèles, dévoués et aimants.
Autrement dit, la justesse en nous est une œuvre de Dieu qu’il ne réalise que si nous la désirons et la demandons, que si nous aimons et nous nous  engageons à toujours aimer plus et mieux.

Et nous ? Sommes-nous justes ? Demandons-nous à Dieu de transformer notre justice en justesse ? Montrons-nous assez d’amour pour que Dieu fasse grandir en nous son amour ? Acceptons-nous que cela ne dépende pas que de nous, que ce soit une grâce reçue de Dieu selon sa liberté souveraine ? Que pouvons-nous faire concrètement pour montrer à Dieu que nous sommes désireux de progresser dans la justice comme dans la justesse ?

Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »

Jésus avait déjà conclu ainsi une autre parabole : celle des invités qui cherchent la première place (cf Lc 14, 7-11). Cette conclusion peut aussi nous renvoyer à la parabole du grain de blé :
24 Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.
25 Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. (Jn 12, 24-25)
Ces deux textes insistent encore et toujours sur la vanité des œuvres humaines quand elles prétendent faire sans Dieu. Nous l’avons déjà rappelé, en dehors de Lui, nous ne pouvons rien faire (cf J 15, 5). Les verbes à l’actif traduisent l’action de l’homme, il s’élève, il s’abaisse. Les verbes au passif montrent qu’en dernier lieu, ce n’est pas l’homme mais Dieu qui agit sur un homme qui ne contrôle rien (sera abaissé, sera élevé… par Dieu). Il y a bien une corrélation entre l’œuvre de l’homme et celle de Dieu qui respecte notre liberté mais qui nous aime et nous corrige. Notre action déclenche donc une œuvre divine qui est souveraine et libre mais qui tient compte de ce que nous sommes et voulons, nous rendant responsables de notre sort. Cette responsabilité est la preuve de notre vraie liberté.
Au bout du compte, il est donc une fois de plus question de salut. Ce n’est pas seulement de morale que Jésus nous parle mais de sanctification et de vie éternelle, car être élevé, c’est être accueilli au ciel, ce ciel que le publicain n’ose pas regarder car il s’en sait indigne, mais auquel nous pouvons malgré tout aller non pas, parce que nous l’aurons mérité, mais parce que nous aurons laissé Dieu nous justifier et nous élever.
La vierge Marie est la meilleure illustration de cela, comme le montre ce dialogue :
Une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! »
28 Alors Jésus lui déclara : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » (Lc 11, 27-28)
Il ne s’agit pas tant de ce qu’elle a fait (porter et nourrir le christ) mais de l’action de la Parole en elle. Nous fêtons d’ailleurs son Assomption, mot qui vient du verbe latin ascendo au passif : être élevé. La vierge Marie, “humble servante” a été élevé au plus haut des cieux.

Et nous ? Saurons-nous mettre toute notre liberté à rechercher la volonté de Dieu, en acceptant que c’est lui qui sauve en demandant d’être sauvé ?

En guise de conclusion :
Nous savions à qui s’adresse la parabole : à ceux qui se croient justes. Le Seigneur n’est pas seulement venu leur donner une leçon de savoir vivre en société ou des consignes de bonne camaraderie. Il nous montre l’importance de l’humilité et de la justice/justesse, non seulement pour cette terre mais pour la vie éternelle. Il nous montre que l’amour, que nous témoignons à nos frères, est la clef de l’amour que nous apprendrons à avoir pour Dieu. Il nous montre que notre amour pour Dieu rejaillit naturellement en amour pour nos frères.
L’orgueil qui nous empêche de nous voir en vérité, ou qui nous fait juger nos frères, est aussi l’obstacle insurmontable qui nous empêche d’accueillir la grâce de Dieu qui justifie et qui sauve. Une fois de plus, nous voyons combien les deux commandements de l’amour (de Dieu et des frères) sont liés et ne font qu’un. Puisons en Dieu la force et la joie d’aimer nos frères, apprenons en aimant nos frères à aimer Dieu notre Père.

 

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