Lectio divina du 21 août 2022 : 21e dimanche ordinaire (C)
Evangile de Jésus Christ selon st Luc (Lc 13, 22-30 )
En ce temps-là, 22 Tandis qu’il faisait route vers Jérusalem, Jésus traversait villes et villages en enseignant.
23 Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Jésus leur dit :
24 « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas.
25 Lorsque le maître de maison se sera levé pour fermer la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : “Seigneur, ouvre-nous”, il vous répondra : “Je ne sais pas d’où vous êtes.”
26 Alors vous vous mettrez à dire : “Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.”
27 Il vous répondra : “Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.”
28 Là, il y aura des pleurs et des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors.
29 Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu.
30 Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. »
Lecture ligne à ligne
En ce temps-là, 22 Tandis qu’il faisait route vers Jérusalem, Jésus traversait villes et villages en enseignant.
Nous sommes toujours dans cette grande incise de Saint Luc, section de pèlerinage de Jésus, en montée vers Jérusalem qui occupe tout le centre de l’Evangile (Lc 9, 51- 19, 28). Saint Luc ne se contente pas de dire au début et à la fin que Jésus est en route, il le rappelle régulièrement tout au long de la section (au moins 5 fois). Ce n’est pas un hasard. C’est une invitation à mettre nos pas dans les pas du Seigneur et à prendre, nous aussi, la route de Jérusalem. Pour nous, ce sera la Jérusalem céleste comme la suite de ce texte va nous le montrer.
Et nous ? Entendons-nous l’appel du Seigneur à le suivre ?
Il leur disait à tous : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive.” (Lc9,23)
ou
“ Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.” (Lc 14,27)
Le chemin du Christ passe par la Croix, nous y préparons-nous nous aussi ?
23 Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? »
Encore une fois, nous trouvons sur le chemin du Seigneur quelqu’un qui l’interpelle comme l’avait fait auparavant trois personnes au début de sa route :
57 En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. »
58 Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
59 Il dit à un autre : « Suis-moi. » L’homme répondit : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. »
60 Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. »
61 Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. »
62 Jésus lui répondit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. » (Lc 9, 57-58)
Puis le docteur de la loi, à propos de la vie éternelle, ce qui lui valut le grand commandement et la parabole du bon Samaritain !
25 Et voici qu’un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » (Lc 10, 25)
Ensuite, c’est un disciple :
un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. »
et encore une femme :
27 Comme Jésus disait cela, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! »
28 Alors Jésus lui déclara : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » (Lc 11, 27-28)
Et un homme lui demande de régler son litige avec son frère :
13 Du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. » (Lc 12, 13)
Vient ensuite le tour de Saint Pierre :
41 Pierre dit alors : « Seigneur, est-ce pour nous que tu dis cette parabole, ou bien pour tous ? » (Lc 12, 41)
On voit aussi un groupe de personnes interroger Jésus sur l’actualité :
01 À ce moment, des gens qui se trouvaient là rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient.
Ce sont là des exemples sur les chapitres qui précèdent notre texte dans cette grande incise, mais la suite continue de même :
31 À ce moment-là, quelques pharisiens s’approchèrent de Jésus pour lui dire : « Pars, va-t’en d’ici : Hérode veut te tuer. » (Lc 13, 31)
Cela nous apprend bien des choses sur Jésus : en premier lieu, il cheminait avec une foule autour de lui et non seulement ses disciples. Ensuite, il se laisse interpeller à la manière des rabbins et maîtres de son époque et comme eux, ses réponses ne sont presque jamais directes ou explicites, mais toujours des invitations à une réflexion personnelle plus poussée, soit par des questions, soit par des paraboles, soit par des sentences un peu surprenantes comme « Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » (Lc 13, 3 et 13, 5). Ensuite, nous voyons que Jésus ne manque jamais une occasion de donner un enseignement, sur des sujets aussi variés que la prière ou l’âpreté au gain… même si ce n’est pas en rapport direct avec ce qu’il disait précédemment. Et Il complète ou développe toujours ses enseignements pour en revenir à ses thèmes privilégiés : le Royaume de Dieu, le Salut, la conversion, l’Amour de Dieu et des frères, l’espérance et l’éternité. Autrement dit, Jésus s’intéresse à ceux qui l’entourent et répond à leur demande, mais il est libre et sait où il veut aller et où il veut emmener ceux qui l’écoutent. Ainsi aucune question n’est inutile ou déplacée, mais il faut accepter que la réponse nous emmène sans doute beaucoup plus loin que ce que nous attendions.
Et nous ? Quelle question voudrions-nous poser à Jésus ? Pouvons-nous trouver dans l’Evangile un passage qui s’y rapporte ? Nous laisserons-nous alors entrainer par Jésus au-delà de nos propres aspirations, jusque vers la conversion, le salut et la vie éternelle ?
Jésus leur dit : 24 « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite,
Le Seigneur répond à la question sur les sauvés, mais comme nous l’avons dit, il dépasse la demande. La question sur le nombre de sauvés visait sans doute à se rassurer (sous-entendu : « s’il y a un grand nombre de sauvés, alors pourquoi pas moi ? »). Notons que si la réponse avait été positive, elle aurait été inquiétante voir désespérante. C’est ce qui se passe après la rencontre avec le jeune homme riche :
23 Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! »
24 Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu !
25 Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »
26 De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? »
27 Jésus les regarde et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. » (Mc 10, 23-27)
Les disciples sont stupéfaits et déconcertés et même ils semblent désespérer du Salut de quiconque. Il faut l’assurance que Dieu peut, ce que l’homme ne peut pas pour les rassurer.
Mais dans le texte qui nous occupe à présent, la réponse n’est ni « oui » (ce qui inquiéterait) ni « non » (ce qui rassurerait à trop bon compte) mais plutôt : « ne t’occupe pas du nombre, occupe-toi de ton propre Salut ».
Je vous renvoie alors à l’explication déjà proposée de l’épisode, dit de Marthe et Marie (Lc 10, 38-42). Jésus dit à Marthe :
« Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. » (Lc 10, 41)
Mais Il ne dit pas cela quand elle sert. Il dit cela quand elle interrompt Jésus et prétend dicter sa conduite à Marie. Autrement dit, ce qui l’agite c’est la mission de sa sœur et même celle de Jésus. Jésus l’invite à se recentrer sur sa propre mission, qui est la « seule chose nécessaire » (cf Lc 10, 42). Ici encore, Jésus invite à ne pas s’inquiéter du nombre de sauvés, ni du Salut des autres, mais de la manière dont nous pouvons prendre nous-mêmes le chemin de notre Salut.
Et nous ? Cherchons-nous des solutions de facilité et des moyens de nous rassurer à bon compte ? Que faisons- nous pour collaborer à l’œuvre que Dieu seul peut accomplir : notre salut ?
car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas.
Voici qui vient souligner le message de la porte étroite ! Si celle-ci est étroite, cela signifie qu’il faut faire effort pour y passer. Et voici que Jésus dit que beaucoup n’y arriveront pas ! C’est donc qu’il faut beaucoup d’efforts. Mais regardons encore de plus près : Jésus parle bien de chercher mais il ne dit pas qu’elle est difficile à trouver : la porte n’est pas cachée, elle n’est pas dévoilée à un petit nombre comme si elle était réservée à une élite de parfaits ou d’intellectuels. Non, la difficulté ne vient pas de ce qu’elle serait cachée.
Pas plus de difficultés à y arriver, Jésus ne parle pas d’épreuves préalables comme si le Salut était réservé à des aventuriers, des héros ou des surhommes. Il ne s’agit ni de force, ni de compétence car on ne se sauve pas soi-même.
Alors ? La difficulté vient de ce qu’elle est étroite. Cela signifie bien des choses :
D’abord l’étroitesse est quelque chose de relatif : si je trouve un passage étroit, il est fort à parier que ce ne sera pas le cas pour un enfant ou pour un chat ou un chien… Un passage, une porte, n’est étroit qu’en fonction de ce qu’on veut y faire passer. Voici qui met en relief la prière du Christ :
Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. (Lc 10, 21)
Ce qui est révélé au tout petit, c’est le passage étroit pour aller dans le Royaume
On peut aussi penser à ce que Jésus dit des enfants :
« Laissez les enfants venir à moi, et ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. (Lc 18, 16Ressembler aux enfants, c’est bien se faire petit.
Ensuite une porte étroite doit être franchie une par une ; un groupe ne passe pas par une porte étroite. Un tel passage est un passage individuel que je dois franchir seul. Je peux y amener une autre personne, je peux la guider jusqu’à la porte et l’encourager, mais je devrais la franchir seul et encourager l’autre à la franchir à son tour. C’est sans doute ce que met en valeur la parabole des vierges sages et des vierges folles (CF Mt 25, 1-13). On s’étonne dans cette Parabole de voir les « sages », les « prévoyantes » refuser de partager avec les autres. Elles sont pourtant celles qui vont être sauvées. Comment la générosité ne serait-elle pas une condition de Salut ? Mais c’est que ces jeunes filles montrent le chemin aux autres : elles montrent qu’il faut de l’huile, elles disent la quantité qu’il faut, elles encouragent à aller s’en procurer, elles prennent elles-mêmes le bon chemin à la suite de l’époux, mais ce qu’elles ne peuvent pas faire, c’est avoir la lampe d’une autre, faire le chemin des autres… Mon histoire de Salut est personnelle, elle ne regarde que Dieu et moi. Les autres sont pour moi des aides et des soutiens mais je suis le seul à pouvoir agir, je peux les guider et les encourager mais je dois les laisser libres et responsables de leur propre Salut.
Enfin, je ne peux franchir la porte étroite si je suis encombré de toute sorte de choses inutiles ou accessoires. Si je veux franchir un seuil étroit, il faut que j’accepte de laisser derrière moi tout ce qui me rend trop encombrant, tout ce qui gêne mes mouvements. Cela nous rappelle le jeune homme encombré de ses richesses, mais aussi les pharisiens et docteurs de la loi empêtrés dans leurs certitudes qui n’ont pu accueillir la Parole du Christ, et encore Hérode, coincé dans sa volonté de pouvoir et de puissance, qui n’a pu recevoir le messie… Richesses, pouvoirs, connaissances, autant de choses qui nous encombrent si bien, ainsi que notre égoïsme, notre désir de notoriété ou de gloire, notre colère ou notre jalousie… En bref, c’est le péché qui nous encombre, c’est nous-mêmes qui nous encombrons, si nous savons renoncer à nous-mêmes, nous passerons facilement la porte étroite.
Et nous ?
Acceptons-nous de nous faire tout petits ?
Prenons-nous nos responsabilités, pour coopérer personnellement à l’œuvre de Salut de Dieu en nous ?
Que devons-nous lâcher, abandonner pour nous désencombrer ?
25 Lorsque le maître de maison se sera levé pour fermer la porte,
Voici que Jésus nous parle d’un maître de maison. Il introduit ainsi au moins deux notions qui n’étaient pas encore évidentes :
la première c’est que le Salut est d’abord une histoire de relation. Il s’agit d’être invité et accueilli. Voici peut-être une nouvelle raison de trouver la porte étroite : Si nous ne répondons pas à une invitation, si nous voulons entrer de notre propre chef ou que nous ne nous sentons pas à notre place parce que nous n’avons pas entendu l’appel retentir en nous, alors nous trouverons la porte bien étroite et sans doute sévèrement gardée, il sera inutile d’essayer d’entrer dans ses conditions. Rappelons-nous les paroles du Bon Pasteurs :
01 « Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. (Jn 10, 1)
Et au contraire :
09 Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé (Jn 10, 9)
La seconde notion qui vient avec l’évocation du maître, c’est que nous ne contrôlons rien. Ce n’est pas nous qui faisons notre Salut, il y a un maître. La porte étroite nous invitait au dépouillement. Le maître qui nous invite à entrer par elle nous oblige à l’humilité. C’est en effet lui, le maître, qui ferme la porte, il le fait quand et comme il le veut, pour qui il le veut. C’est ce qui est arrivé aux vierges folles de la parabole évoquée précédemment.
Et nous ? Prenons-nous le temps dans notre prière et dans notre vie d’écouter retentir en nous l’appel de Dieu. Il s’agit de répondre plutôt que n’en faire qu’à notre tête, il s’agit d’obéir pour ne pas se perdre, se disperser et s’encombrer de cadeaux que nous croyons beaux ou utiles à faire à Dieu qui ne nous les a peut-être pas demandés… C’est ce qu’exprime si bien le psaume 50 :
18 Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste.
19 Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.
Et acceptons nous d’être sauvés plutôt que de nous sauver nous-mêmes ? Saurons-nous dépendre d’un autre et accepter notre propre dépendance ? Dans l’expérience des personnes vieillissantes, c’est la plus grande épreuve : accepter de ne plus se suffire à soi-même, dépendre des autres. C’est sûrement très dur, mais quelle belle préparation à la vie éternelle !
si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : “Seigneur, ouvre-nous”, il vous répondra : “Je ne sais pas d’où vous êtes.”
Voici qui continue de nous renvoyer à la parabole des vierges folles :
Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent : “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !” (Mt 25, 11)
L’illustration de ce qui vient d’être dit est parfaite : si le Christ est Lui-même la porte ; comment pouvons-nous espérer le Salut en le frappant, c’est plutôt le contraire : Jésus lui-même a dû intercéder pour ses bourreaux :
34 Jésus disait : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23, 34)
Mais surtout, ces personnes ne répondent pas à un appel, elles demandent et réclament. Elles n’entreront pas. Le Seigneur répond qu’Il ignore d’où elles sont, parce que précisément, elles ne viennent pas de là où il les a appelées mais de là où elles ont voulu aller. Elles sont parties loin de la volonté de Dieu, loin dans leur péché. Mais Dieu n’a rien à voir avec le péché.
Ce sont elles qui décident de tout, elles frappent et elles disent ce qu’il faut faire : « ouvre-nous ». Elles se croient encore maitresses de leur destin, elles n’entreront pas !
Et nous ? Est-ce que nous croyons que nous aurons toujours le temps, ne répondant pas à l’appel mais suivant nos propres vues ? Savons-nous quelle est l’urgence de notre conversion ?
26 Alors vous vous mettrez à dire : “Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.” 27 Il vous répondra : “Je ne sais pas d’où vous êtes.
Voici maintenant le deuxième tort de ceux qui ne seront pas sauvés : ils pensent avoir droit au Salut, ils pensent pouvoir revendiquer leur proximité avec Dieu ou leurs actions passées pour obtenir le Salut. La question n’est pas de savoir si le Seigneur les a enseignés car son enseignement est pour tous ; la question est de savoir s’ils ont reçu cet enseignement d’humilité et de conversion. La question n’est pas de savoir si le Seigneur a mangé et bu en leur présence car le Seigneur va à la rencontre des pécheurs, mais il s’agit de savoir s’ils se sont reconnus malades et ont accepté d’être soignés par ce médecin suivant les paroles même du Sauveur :
31 Jésus leur répondit : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades.
32 Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent. » (Lc 5, 31-32)
Ils revendiquent une proximité géographique avec le Seigneur, mais la seule proximité qu’ils lui reconnaissent, c’est la proximité du cœur : être pauvres, doux, justes, miséricordieux, artisans de paix ou martyrs du Seigneur (les Béatitudes cf Mt 5, 1-12) voilà ce qui nous dépouille de nos richesses, notre puissance, notre gloire, notre force ou même notre réputation pour nous permettre de nous glisser dans la porte étroite.
Et nous ? Au jugement, que pourrons-nous revendiquer qui justifie notre Salut ?
Quoi que vous ayez répondu à cette dernière question, vous vous retrouvez dehors ! nous ne pouvons rien revendiquer, nous n’avons aucun droit au Salut. Ce qui justifie que nous soyons sauvés, c’est la miséricorde de Dieu, sa générosité et sa bonté envers nous qui sommes pécheurs. Ce que nous avons ne sert à rien pour notre Salut mais plutôt ce que nous abandonnons, ce que nous laissons.
C’est ainsi que je me représente le purgatoire, non pas tant comme « une salle de douche » ou je serai lavé du péché mais plutôt comme un vestiaire où, peu à peu, je devrais tout laisser derrière moi, tout abandonner pour me retrouver nu et humble devant mon Dieu qui me couvrira de sa miséricorde. C’est ainsi que je comprends aussi la parole de Job :
« Nu, je suis sorti du ventre de ma mère, nu, j’y retournerai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris : Que le nom du Seigneur soit béni ! »
Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.”
Nous sommes encore réorientés vers une parabole du chapitre 25 de Saint Matthieu, mais cette fois-ci, il s’agit du jugement dernier :
41 Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. (Mt 25, 41)
« Eloignez-vous » ou « allez-vous-en loin », voilà qui est bien synonyme. L’injustice de ces « maudits » : nous la connaissons bien :
“Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.” (Mt 25, 45)
Il s’agit concrètement de ne pas avoir nourri, abreuvé, accueilli, vêtu ou visité ceux qui en avaient besoin, mais plus profondément, Il s’agit de ne pas avoir aimé. L’amour, qui n’est pas donné aux frères, n’est pas donné à Dieu comme le rappelle les commandements qui sont semblables :
37 Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.
38 Voilà le grand, le premier commandement.
39 Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
L’injustice est donc de ne pas aimer, ni Dieu, ni son prochain. C’est parce que nous aimons plus nos richesses, notre gloire, notre pouvoir, notre puissance, notre force ou notre réputation que Dieu ou nos frères que nous commettons l’injustice et que nous sommes pécheurs, loin de Dieu, ignorés de Lui.
Et nous ? Qu’est-ce que l’Amour de Dieu ou des frères nous a fait faire comme renoncements, comme abandons ? A quoi nous invite-t-Il encore ? Comment y arriver ou progresser ?
28 Là, il y aura des pleurs et des grincements de dents,
En Saint Luc, on ne trouve qu’ici cette expression, mais en saint Matthieu, elle conclut bien des paraboles :
Dans la parabole de l’ivraie, après la moisson, celle-ci est brulée ; ce qui est comparé à ceux qui font le mal :
ils les jetteront dans la fournaise : là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. (Mt 13,42)
Dans la parabole des invités à la noce, un convive n’a pas le vêtement de noce et ne répond pas au maître ; il n’a pas répondu à un appel et ne rentre pas en relation avec celui qui peut le sauver, comme s’il avait tous les droits à participer aux noces, ce n’est pas vrai :
Alors le roi dit aux serviteurs : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.” (Mt22,13)
A la fin de la parabole de l’intendant infidèle, le maître revient et juge :
il l’écartera et lui fera partager le sort des hypocrites ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. (Mt24,51)
Enfin dans la parabole des talents, voici ce qu’il advient du serviteur mauvais et paresseux :
Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !” (Mt25,30)
Ainsi, il s’agit toujours du jugement dernier, de la condamnation ultime au retour du maître. En fait, il y a toujours un choix (bon grain ou ivraie, bon ou mauvais intendant, serviteur bon et fidèle ou serviteur mauvais et paresseux…) mais ce n’est jamais ce que fait l’homme qui le sauve, c’est toujours une décision du maître, motivée par l’action du serviteur mais souveraine malgré tout. Par contre, l’homme peut se condamner lui-même en refusant l’amour et la bonté du maître.
La réponse à la question initiale sur le nombre des sauvés est donc définitivement dépassée pour aboutir à cette affirmation : tous peuvent être sauvés à condition de ne pas se condamner soi-même, en faisant le mal et aussi de ne pas prétendre se sauver soi-même en refusant la miséricorde divine. La porte est étroite entre ces deux abîmes : l’avidité de celui qui fait le mal et l’orgueil de celui qui prétend avoir droit au salut, qui se prétend bon et bien.
Et nous ? Sommes-nous conscients de ces deux abîmes ? Savons-nous nous en tenir à distance ? Comment ?
quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors.
Précédemment, nous avons vu des personnes qui revendiquaient le droit au Salut à cause d’une proximité géographique avec Jésus, qui enseignait sur leur place ou mangeait et buvait en leur présence. Maintenant, le Seigneur met en garde ceux qui pensent avoir droit au Salut à cause de leurs origines et de leur appartenance au peuple élu. Le peuple des patriarches et des prophètes est bien le peuple élu, appelé au salut, mais cela ne signifie pas que tous ses membres soient sauvés automatiquement.
En fait, le peuple est élu parce que Dieu a fait une alliance avec lui. Le peuple est élu parce que lui, reçoit la révélation de l’Amour de Dieu et la promesse du Salut. Mais cette promesse est valable pour tout homme qui commet la justice, qui recherche la porte étroite. Le peuple est choisi pour faire connaître la miséricorde de Dieu au monde. Le peuple est choisi pour préparer la venue du messie. Ainsi, chacun de ses membres a reçu toute révélation nécessaire pour faire la volonté de Dieu. Mais cela n’accorde aucun droit, cela octroie plutôt de grands devoirs comme nous l’avons vu récemment dans la conclusion de la parabole de l’intendant fidèle :
47 Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’a rien préparé et n’a pas accompli cette volonté, recevra un grand nombre de coups.
48 Mais celui qui ne la connaissait pas, et qui a mérité des coups pour sa conduite, celui-là n’en recevra qu’un petit nombre. À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. (Lc 12, 47-48)
Et nous ? Nous croyons-nous sauvés parce que nous sommes baptisés ? Nous croyons-nous sauvés parce que nous communions à la très sainte Eucharistie ? Ou bien demandons-nous humblement au Seigneur, par la grâce du baptême et des autres sacrements, par la prière et l’intercession de l’Eglise notre mère, par les fruits de nos bonnes actions et de notre Amour de Dieu et des frères, de nous préparer à recevoir gratuitement (c’est-à-dire sans penser le mériter ou y avoir droit) le Salut et la vie éternelle ?
29 Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu.
L’énumération des quatre points cardinaux est là pour souligner l’universalité du Salut. L’image du festin évoque la fête, la fraternité et la convivialité de ceux qui se retrouvent pour une occasion unique et une raison unique. L’évocation du royaume rappelle que Dieu reste et est le seul maître de tout cela. Ainsi, la question du nombre des sauvés est remplacée par la question de l’étendue de l’appel et de l’invitation au Salut. Dieu veut que tous puissent prendre place, c’est lui qui offrira cette place par-delà la proximité géographique ou l’appartenance à un peuple.
Et nous ? Vivons-nous de cette espérance, pour nous-mêmes et pour tous nos frères ? Savons-nous rendre grâce de cet appel miséricordieux de Dieu ? Sommes-nous prêts à coopérer pour ne pas risquer de nous condamner nous-mêmes à refuser ce Salut ?
30 Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. »
Le Christ parle bien sûr d’abord pour ses auditeurs qui forment le peuple élu, c’est à dire les premiers appelés, en vertu de l’alliance, à la vie éternelle. Mais ces premiers risquent bien d’être derniers si, enorgueillis par leur statut et par cette alliance, ils commettent l’injustice de ne plus aimer Dieu et leurs frères mais de revendiquer et exiger le Salut comme un droit. Il évoque aussi ceux qui étaient mis au dernier rang : les pécheurs, qui deviendront par leurs attitudes, des premiers. Il l’a fait bien des fois, par exemple :
Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu.
32 Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. (Mt 21, 31-32)
Ainsi pour coopérer au Salut de Dieu en nous, il faut croire à la Parole et faire la justice, puis se repentir de ses propres péchés. On peut s’étonner que la question de la foi arrive si tard. Mais notre texte ne cesse de nous parler d’Espérance dans le Salut et la Charité nécessaires à accueillir celui-ci de la part de Dieu en nous tournant vers nos frères. Nous savons bien que l’espérance et la charité ne vont jamais sur cette terre sans la foi. Si donc elle n’apparaît explicitement que dans cette dernière citation, elle est pourtant implicitement présente depuis le début : il faut croire au Salut pour le chercher et trouver la porte étroite, il faut croire que Dieu est un maître bon et miséricordieux pour coopérer avec lui et ne pas désespérer, Il faut croire en l’amour universel de Dieu qui nous appelle tous et veut tous nous sauver pour ne pas nous laisser submerger par le désespoir ou nous laisser tenter par la richesse, le pouvoir, la puissance, la force, la gloire ou la réputation qui sont des soutiens immédiats mais tellement illusoires…
Et nous ? Notre foi nous fait-elle tenir dans les turpitudes et les aléas de la vie pour continuer d’espérer le salut et rester fermes dans l’Amour de Dieu et des frères, même quand nous sommes indignes du salut ? Comment la cultivons-nous ?
En guise de Conclusion :
D’une question sans doute maladroite et peut-être mal orientée, Jésus fait jaillir un enseignement limpide et merveilleux : le Salut n’est jamais un dû, ni une chose acquise ; il est un don de Dieu qui n’est accompli que par Lui mais auquel nous pouvons pourtant coopérer. Pour cela, il nous faut la foi, l’espérance et la charité ? La foi nous fait croire en ce Dieu qui nous appelle tous, malgré notre indignité car il est bon et miséricordieux. L’espérance nous plonge déjà dans cette relation merveilleuse avec Celui qui nous appelle et qui nous guide, en toute justice vers nos frères comme vers notre Père, jusqu’au jour où nous serons ensemble pour l’éternité. La charité, enfin, nous fait découvrir comment le service de nos frères jusqu’au don de nos vies nous apprend à aimer ce Père, que nous ne voyons pas encore mais qui nous a donné son Fils pour que s’ouvre pour nous la porte du ciel et que nous puissions, dès ici-bas, vivre dans l’amour qui se donne et reçoit humblement la vie de celui qui est la source de toute foi, espérance et charité, de toute vie, de toute éternité.