Evangile de Jésus Christ selon st Luc (Lc 9, 28-36)
En ce temps-là, 28 Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier.
29 Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante.
30 Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie,
31 apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem.
32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés.
33 Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait.
34 Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent.
35 Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! »
36 Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.
Lecture ligne à ligne
En ce temps-là, 28 Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques,
Jésus prend des disciples avec Lui. Il y a là une marque de cette intimité que Jésus veut établir avec ses disciples. Rappelons-nous l’appel des disciples :
14 et il en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle
15 avec le pouvoir d’expulser les démons.
16 Donc, il établit les Douze : Pierre – c’est le nom qu’il donna à Simon –,
17 Jacques, fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques – il leur donna le nom de « Boanerguès », c’est-à-dire : « Fils du tonnerre »
–,
18 André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, fils d’Alphée, Thaddée, Simon le Zélote,
19 et Judas Iscariote, celui-là même qui le livra. (Mc 3, 14-19)
Jésus les institue « pour qu’ils soient avec Lui ». La première qualité du disciple c’est donc cette proximité, cette intimité avec le Seigneur. De sa part cela implique un appel précis, un choix et une attention, de leur part, la disponibilité, un renoncement à leur vie d’avant, et une obéissance confiante dans ce maître.
Ensuite Il les connaît par leur nom et pour beaucoup d’entre eux par un lien familial ou amical : Simon et André son frères comme Jacques et Jean, Philippe est du même village que les 4 déjà nommés et l’ami de Barthélémy qui est Nathanaël…
Il y a aussi les surnoms : Pierre, les fils du tonnerre, le zélote, l’Iscariote, Thomas surnommé Thaddée…
Et puis Jacques est fils d’Alphée et Jacques et Jean sont fils de Zébédée…
Tout cela montre combien ils sont connus intimement les uns par les autres et par Jésus. Il y a là une véritable communauté.
Et nous ? Qu’est-ce qui nous définit comme « de la communauté de Jésus » ?
Sommes-nous disponibles ? Obéissants ? Prêts à des renoncements ? Lesquels ?
et il gravit la montagne pour prier.
La montagne est le lieu de la rencontre avec Dieu. C’est vrai pour Moïse qui gravit le Sinaï pour recevoir la loi :
15 Moïse gravit donc la montagne, et la nuée recouvrit la montagne (…) Le septième jour, le Seigneur appela Moïse du milieu de la nuée. (Ex 24, 15-16).
Le Seigneur entre en dialogue avec Moïse, c’est cela la prière…
On voit déjà la nuée que nous retrouverons dans notre évangile un peu plus tard. Il y a aussi la mention du septième jour, or dans l’évangile il y a la notation « environ huit jour plus tard » qui n’a pas été reprise dans le texte du jour mais qui est le début du verset que nous commentons. Si la mention fait le lien entre la Transfiguration et ce qui précède, à savoir la première annonce de la Passion, c’est aussi sans doute à mettre en lien avec le récit de Moïse… Sept jours, c’était le temps de Création : la loi est l’alliance qui permet de restaurer la création marquée par le péché, le huitième jour est celui de la nouvelle création, celle qui se fait en Jésus et qui demeurera éternellement.
Alors ? Notre prière est-elle un dialogue avec Dieu ? Nous lui disons beaucoup de chose, mais quelle place lui laissons-nous ? Savons-nous parfois nous taire pour l’écouter ? Que nous dit-il ?
Et notre alliance avec le Seigneur ? En quoi nous implique-t-elle ? A quoi nous engage-t-elle ?
29 Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre,
Ce visage est le visage de Jésus, fils de Marie, un homme, mais c’est aussi le visage de Dieu, du Fils de Dieu. Or le livre de l’exode met dans la bouche même de Dieu :
Tu ne pourras pas voir mon visage, car un être humain ne peut pas me voir et rester en vie. (Ex 33, 20)
C’est que le visage n’est pas seulement l’aspect, mais aussi le témoin, le signe qui révèle la grandeur et la puissance de Dieu. Ainsi l’expression :
Moïse apaisa le visage du Seigneur son Dieu (Ex 32,11)
Le Seigneur réprouve l’attitude du peuple, ce que l’auteur traduit de façon imagée en montrant Dieu en colère et il résume cette colère à un visage qui doit être apaisé…
Notons qu’il y a un précédent à ce visage qui prend un autre aspect : celui de Moïse qui redescend du Sinaï :
29 Lorsque Moïse descendit de la montagne du Sinaï, ayant en mains les deux tables du Témoignage, il ne savait pas que son visage rayonnait de lumière depuis qu’il avait parlé avec le Seigneur.
30 Aaron et tous les fils d’Israël virent arriver Moïse : son visage rayonnait.
31 Comme ils n’osaient pas s’approcher, Moïse les appela. Aaron et tous les chefs de la communauté vinrent alors vers lui, et il leur adressa la parole.
32 Ensuite, tous les fils d’Israël s’approchèrent, et il leur transmit tous les ordres que le Seigneur lui avait donnés sur la montagne du Sinaï.
33 Quand il eut fini de leur parler, il mit un voile sur son visage. (Ex 34, 29-33)
On voit que le visage de Moïse lui aussi a changé d’aspect, à cause de cela Aaron et les chefs sont saisis de crainte comme les disciples mais ils sont appelés et reçoivent des ordres du Seigneur comme les disciples, et quand la voix du Père se tait les disciples retrouvent Jésus et son aspect naturel, dont la divinité n’est plus perceptible, comme voilée comme le visage de Moïse.
Mais il y a une différence majeure : le visage de Moïse change parce qu’il a rencontré Dieu alors que le Christ tout entier change d’aspect et c’est Dieu en Lui qui le fait rayonner. Le Christ est l’auteur de la lumière qu’Il choisit de faire rayonner devant ses disciples ou pas, Moïse reçoit cette lumière dont il n’est aucunement maître et donc il doit se cacher lui-même.
Et nous ? Comment nous laissons-nous illuminer par le Seigneur ? Sommes-nous capables de reconnaître la lumière qui vient de Dieu ? Comment la laissons-nous transformer nos vies ?
et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante.
La blancheur du vêtement renvoie aux anges de la Résurrection :
L’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus.
03 Il avait l’aspect de l’éclair, et son vêtement était blanc comme neige. (mt 28, 2-3)
ou aux élus de l’apocalypse :
09 Après cela, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. (Ap 7, 9)
Et ces robes sont blanches à cause du Seigneur :
ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. (Ap 7, 14)
Quant à la symbolique du vêtement, elle est forte : elle témoigne de la puissance de celui qui le porte. Ainsi les malades cherchaient à toucher le vêtement ou la frange du vêtement de Jésus. Prenons l’exemple de l’hémorroïsse :
28 Elle se disait en effet : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. »(Mc 5, 28)
Ou de son état comme le vêtement blanc qui montre la pureté des sauvés dans l’apocalypse comme nous venons de le rappeler. Mais ici ce n’est pas le vêtement qui montre à l’extérieur ce qui est caché à l’intérieur, c’est la lumière intérieure qui rayonne au point de transformer le vêtement extérieur !
Et nous ? Comment accueillons-nous au plus profond de nos cœurs la lumière de Dieu ? Comment en devenons-nous rayonnant à l’extérieur pour nos frères, selon la parole du Seigneur :
14 Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.
15 Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16 De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. (Mt 5, 14-16)
30 Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie,
Moïse représente la loi, lui qui est monté la chercher et la recevoir de Dieu sur la montagne. Elie représente les prophètes lui qui est venue à la rencontre de Dieu sur la montagne et l’a vu depuis sa caverne, le visage voilé :
11 Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car il va passer. » À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ;
12 et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère.
13 Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne. Alors il entendit une voix qui disait : « Que fais-tu là, Élie ? »
14 Il répondit : « J’éprouve une ardeur jalouse pour toi, Seigneur, Dieu de l’univers. (1 R 19, 11-14)
Ainsi la loi et les prophètes, toute la première alliance convergent vers la gloire du Seigneur.
Et nous ? Sommes-nous capables de voir dans le premier Testament la figure du Christ qui vient, la promesse de la nouvelle alliance en Jésus ?
31 apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem.
Le découpage du verset est surprenant, en plein milieu de la phrase. Bien sûr il n’y a pas dans le texte antique de ponctuation et encore mois de découpage en verset. Mais cela nous permet d’insister sur le lien entre la gloire et le départ à Jérusalem.
Bien sûr, ce départ c’est la pâque du Seigneur qui le fait passer de ce monde à son Père. Il quitte ce monde de péché et de mort pour entrer, pour retourner vers le royaume des cieux, vers le Père, vers la vie éternelle. Mais on pourrait, en jouant sur les mots, dire aussi que la Résurrection est le point de départ de la Nouvelle alliance dans le sang du Christ, de la victoire de l’agneau immolé, de la nouvelle Création, de l’Eglise…
Notons encore deux choses : Moïse et Elie ne sont pas une simple apparition, ils sont là et parlent avec Jésus, ils sont vivants, témoins ainsi et avant l’heure de la Résurrection et de la vie éternelle. Ils parlent de ce qui n’a pas encore eu lieu, ils témoignent ainsi que dans leur nouvelle vie, le temps n’a plus court, ils contemplent déjà ce qui n’est pas encore arrivé ! A moins qu’il ne faille penser que Dieu leur a déjà révélé ce qui va arriver, ce qui signifierait à merveille la parfaite communion entre Dieu et les sauvés, selon l’annonce du Christ :
15 Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. (Jn 15, 15)
Finalement ces deux explications convergent dans une contemplation de l’éternité qui est vie de Dieu et par grâce vie des sauvés qui connaissent ainsi tout des projets du Père et les contemplent au-delà du temps et de l’Histoire.
Il est intéressant que la Transfiguration soit ainsi mise en perspective de la vie éternelle, et que cette perspective passe naturellement par le mystère pascal.
Et nous ? Nous sommes en pleine préparation de la fête de Pâque, mais nous préparons-nous à la communion avec Dieu, à la vie éternelle ? En quoi cette perspective vient-elle modifier notre vie d’aujourd’hui et notre vision du monde qui nous entoure ?
32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ;
Dans l’explication du premier verset, nous avons surtout regardé la présence des disciples, maintenant, arrêtons-nous au fait qu’il n’y en a que trois : Pierre, Jacques et Jean.
Nous retrouvons ces trois-là, seuls avec Jésus pour la résurrection de la fille de Jaïre :
37 Il ne laissa personne l’accompagner, sauf Pierre, Jacques, et Jean, le frère de Jacques. (Mc 5, 37)
Et encore à Gethsémani pour l’Agonie :
36 Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani et leur dit : « Asseyez-vous ici, pendant que je vais là-bas pour prier. »
37 Il emmena Pierre, ainsi que Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée, et il commença à ressentir tristesse et angoisse. (Mt 26, 37)
Ainsi ces trois disciples forment comme un cercle rapproché au sein même de la communauté des disciples. Ils sont témoins d’un miracle de retour à la vie, de la transfiguration de Jésus et de son agonie… Il n’est pas très difficile de comprendre que leur intimité plus grande avec le maître leur donnera la faculté d’être, plus que n’importe qui d’autre, les témoins du Ressuscité.
Et les voilà accablés de sommeil, comme lors de l’Agonie :
43 Revenu près des disciples, de nouveau il les trouva endormis, car leurs yeux étaient lourds de sommeil. (Mt 26, 43)
Ce sommeil qui semble si inapproprié à ce moment là renvoie au sommeil mystérieux qui tomba sur Adam pour qu’Eve soit créée :
21 Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place.
22 Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. (Gn 2, 21-22)
Et il en fut de même pour Abraham lors de la Première Alliance :
12 Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. (Gn 15, 12)
Ce sommeil mystérieux rend donc l’homme à la fois présent et purement passif lors des grands moments de l’alliance : lors de la création de la femme, l’homme reçoit alors une compagne qui lui est égale et ensemble ils seront, comme tous les époux par la suite, signe de l’alliance ente Dieu et l’humanité. Cela se fait à partir de l’homme mais sans que lui ne fasse rien, il dormait ! Lors de la conclusion de l’alliance entre Abram et Dieu, Abram prépare tout mais ensuite il s’endort et alors dans les ténèbres la torches de Dieu vient consommer le sacrifice d’alliance sans qu’Abram ne fasse rien ! A Gethsémani, les trois disciples sont invités par Jésus qui vit son agonie et s’offre à Dieu en sacrifice d’alliance :
« Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux. » (Mt 26, 39)
Pierre Jacques et Jean sont là mais ils dorment !
Dieu ne fait pas sans les hommes mais Il n’a pas besoin des hommes : si les hommes sont appelés à coopérer, le salut est pour eux une pure grâce, ils sont purement passifs et ne font que réceptionner et profiter de la grâce ainsi offerte.
Et nous ? Sommes-nous présents au Christ qui nous sauve ? Répondons-nous à son appel ? comment ?
Acceptons-nous d’être purement passifs ? Nous laissons-nous remplir de sa grâce ? Acceptons-nous d’être ainsi dépendant de l’amour de Dieu ? Le laissons-nous nous sauver ou bien est-ce que nous résistons ? Quels sont nos points de résistance ? Comment grandir dans l’acceptation et la docilité ? Saurons-nous dire à notre tour :
non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux.(Mt 26, 39)
mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés.
Voici une originalité : sur eux vient ce sommeil mystérieux mais ils restent pourtant éveillés ! Parce qu’ils résistent au sommeil, ils sont comblés d’une grande grâce : ils voient la gloire de Dieu. Ils voient Moïse et Elie. Ce n’était pas seulement une façon de dire ou une vue de l’auteur, les trois disciples ont bien vu les deux prophètes !
Dans l’évangile ont voit plusieurs fois Jésus qui va au désert ou qui monte sur la montagne et passe la nuit en prière. Ainsi on peut imaginer que la Transfiguration ait eu lieu de nuit, rendant la vision plus impressionnante encore et expliquant le désir de sommeil et le combat pour rester éveiller des disciples. La nuit de prière devient nuit de la transfiguration, Jésus révèle la vraie prière à ses disciples : être avec Lui, en communion avec le père et avec les saints, contempler la gloire de Dieu.
Et nous ? Notre prière est-elle ainsi parfois contemplation de la présence glorieuse de Dieu ? Est-elle guidée par la loi et les prophètes, bref par la parole de Dieu données aux hommes ? est-elle combat pour rester éveillés face au Seigneur ?
33 Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici !
Moïse et Elie s’éloignent de Jésus : la vision n’est pas faite pour durer, la contemplation de l’éternité et de la communion des saints n’appartient pas à nos yeux de chair.
Comme souvent, c’est Pierre qui parle, il montre sa force de tempérament, sa confiance en Jésus à qui il parle malgré la situation si étonnante.
Il appelle Jésus « maître », il sait que ce n’est pas seulement le rayonnement et la gloire du Seigneur qui lui sont montrés mais que c’est un signe qui lui est donné pour lui enseigner quelque chose. Jésus transfiguré est maître et il enseigne ses disciples : il les enseigne sur la gloire dont il est porteur, Il les enseigne sur l’éternité et la communion des saints comme nous l’avons déjà dit, ils les enseigne sur sa liberté et son choix de s’offrir à Jérusalem, dont il parle avec les prophètes.
Il dit « il est bon que nous soyons ici » que nous mettons en parallèle avec la parole de Jésus :
07 Pourtant, je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que je m’en aille, car, si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. (Jn 16, 7)
On pourrait traduire « il est bon pour vous que je m’en aille « Ainsi il est bon pour les disciples d’être là où on contemple la gloire de Dieu, et il est bon pour eux que Jésus retourne dans cette gloire de Dieu. Simon, inspiré par l’Esprit, nous fait comprendre que ce qui est vraiment bon pour nous, c’est d’être dans la gloire de Dieu dont le sujet principal est le départ à Jérusalem, c’est-à-dire que la gloire du Christ est dans son sacrifice et sa victoire sur la mort.
Et nous ? Pouvons-nous nous laisser enseigner et nous plonger dans la contemplation de cette gloire paradoxale qui consiste à se laisser dépouiller de sa vie ? Sommes-nous conscients que notre vocation est de nous unir à Jésus non pas tant dans sa Transfiguration qui nous dépasse que dans sa Croix pour avoir part à sa Résurrection ?
Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
Entendre parler dans la même phrase de « tentes « et de Moïse, ne peut que nos rappeler la tente du rendez-vous. C’est le premier sanctuaire, le premier Lieu où était conservée l’arche d’alliance, mais surtout qui symbolisait la présence de Dieu au milieu du peuple et où celui-ci a sis souvent manifester sa gloire :
09 Au moment où Moïse entrait dans la Tente, la colonne de nuée descendait, se tenait à l’entrée de la Tente, et Dieu parlait avec Moïse.
10 Tout le peuple voyait la colonne de nuée qui se tenait à l’entrée de la Tente, tous se levaient et se prosternaient, chacun devant sa tente. (Ex 33, 9-10)
Mais ici nous voyons qu’il n’y a pas que la tente de la rencontre, il y a aussi les tentes du peuple. Ainsi la tente de la rencontre est manifestation de la gloire de Dieu mais les tentes rappellent que le peuple était nomade, au désert, recevant de Dieu sa nourriture et la direction à suivre. Cette dépendance totale de Dieu est la condition normale du peuple de Dieu. La fête des tentes rappelle cela à tout le peuple juif chaque année… Quant à nous, nous devons nous rappeler que le mot tabernacle est synonyme de tente.
Alors ? Le lieu le plus sacré que nous ayons dans nos églises est une simple tente pour le Seigneur, lieu de manifestation de sa gloire mais lieu de repos éphémère. A l’initiative de Saint Pierre, une tente est dressée pour le Seigneur dans chacune de nos églises mais sommes-nous convaincus qu’il est bon pour nous d’être là ? Visitons-nous souvent le Seigneur au tabernacle ?
Il ne savait pas ce qu’il disait.
Quelle est donc l’erreur de st Pierre pour être ainsi critiqué ? Oui, il est bon qu’il soit là, mais pour contempler la gloire de Dieu non pour monter des tentes ! Oui il est bon d’être là, mais pour apprendre qui est le Seigneur et ce qu’Il va accomplir, non pour s’installer là et rester au sommet de la montagne, loin des hommes. Oui il est bon qu’il soit là, mais pour être témoin et ensuite porter ce témoignage, non pour capter une présence et la garder pour lui !
Et nous ? Quel type de disciple voulons-nous être ? Saurons-nous apprendre et contempler puis témoigner et annoncer ? Comment ?
34 Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ;
La nuée dans le Premier Testament est le lieu de la manifestation de la présence de Dieu. Ainsi pour Moïse :
09 Le Seigneur dit à Moïse : « Je vais venir vers toi dans l’épaisseur de la nuée, (Ex 19, 9)
Pour Salomon et le Temple :
10 Quand les prêtres sortirent du sanctuaire, la nuée remplit la maison du Seigneur,
11 et, à cause d’elle, les prêtres durent interrompre le service divin : la gloire du Seigneur remplissait la maison du Seigneur !
12 Alors Salomon s’écria : « Le Seigneur déclare demeurer dans la nuée obscure. (1 R 8, 10-12)
Cette nuée est présence de Dieu mais aussi manifestation de la divinité du Christ. Ainsi lors de l’Ascension les Actes des apôtres disent :
il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. (Ac 1, 9)
Autrement dit, il entre dans le royaume de Dieu et n’est plus dans ce monde, il domine la nuée car il est Dieu.
Et Nous ? Où trouvons-nous aujourd’hui la présence de Dieu dans nos vies ? Qu’est-ce qui contribue en même temps à le révéler et à le cacher ? (nous avons parlé du tabernacle, présence de Dieu cachée dans l’hostie, nous pourrions parler de la bible, Parole de Dieu cachée sous la lettre, du cœur de chaque Chrétien, présence de Dieu cachée au fond de nous…)
ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent.
Cette peur vient de l’obscurité de la nuée, elle vient aussi de ce que nous avons dit plus haut :
un être humain ne peut pas me voir et rester en vie. (Ex 33, 20)
Mais il s’agit aussi d’un manque de foi et de confiance qui fait craindre le jugement de Dieu sur les pécheurs que nous sommes.
Il s’agit en fin du don de crainte qui permet de découvrir son indignité en présence de Dieu qui seul est saint et de sentir ainsi à quel point nous ne sommes rien face à Lui.
Et nous ? Vivons-nous ce don de crainte ? Sommes-nous conscients de notre indignité ? Notre foi nous permet-elle pourtant d’affronter cette indignité non dans la peur ou le désespoir face au jugement qui ne pourrait aboutir qu’à notre condamnation, mais dans l’Espérance née de la miséricorde qui nous promet le pardon et le Salut ?
35 Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! »
La voix du Père se fait entendre comme jour du baptême :
22 L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » (Lc 3, 22)
Mais cette fois-ci :
- La voix s’adresse aux disciples non à Jésus
- C’est une nuée qui est descendue sur Jésus et sur les disciples et non une colombe qui descend sur Jésus seul
- Le Fils est « choisi » et plutôt que « bien aimé » là encore il s’agit de dire aux disciples la liberté du Père qui envoie son Fils et qui l’envoie en ce lieu et à cette date pour accomplir le Salut.
- Il n’est plus question de trouver sa joie, parole de jubilation intime entre le Père et le Fils, mais de l’écouter, commandement adressé aux disciples
Ces différences annoncent déjà la passation de mission du Fils aux disciples mais les circonstances montrent aussi la continuité de l’un aux autres. Ainsi l’Eglise, communauté des disciples est bien envoyée à la suite du Christ, dans l’Esprit, par le Père.
Alors ? Est-ce que nous l’écoutons ?
36 Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul.
Quand on est dans l’Esprit avec le Christ envoyé par le Père, on n’a plus besoin du témoignage de Moïse et d’Elie. Ceux-ci étaient déjà entrain de partir quand Pierre a commencé à partir, à plus forte raison quand c’est Dieu qui parle.
Et si nous avons reçu la Parole du Père, que nous écoutons le Fils choisi, nous n’avons plus besoin de la manifestation de l’Esprit par la nuée ou d’entendre la Père pas d’autres Paroles, il ne reste que Jésus seul mais en Lui nous avons tout.
Et nous ? Pourrons nous faire nôtres ces devises « Dieu seul suffit » ou « mon Seigneur est mon tout » ?
Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.
Saint Luc se contente de rapporter ce fait mais Saint Matthieu et Saint Marc l’expliquent par un ordre formel de Jésus :
09 En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. » (Mt 17, 9)
La précision « avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. » nous donne sans doute une explication : le sens de cet épisode n’est accessible qu’à ceux qui ont reçu la bonne nouvelle de la résurrection car ainsi ils ont la contemplation de la divinité du Christ, une introduction à la connaissance de la vie éternelle, une confirmation de l’accomplissement des promesses prophétiques dans la personne de Jésus. La victoire du Christ est plus encore qu’ailleurs la clef unique de compréhension de ce signe offert aux trois disciples.
En guise de conclusion :
La transfiguration est un élément majeur de la Révélation du mystère du Christ et de la Bonne nouvelle du Salut accordé par Dieu et de la vocation de l’Eglise et de chacun de ses membres. Bien sûr, elle permet de prévenir en partie le scandale de la Croix dans le cœur des disciples les plus intimes, Pierre qui devra affermir ses frères, Jean qui le premier a vu et a cru, Jacques qui le premier offrira sa vie à la suite du Christ.
Mais plus encore elle est convocation de l’Eglise et des disciples
- à monter sur la montagne, et donc à chercher Dieu
- à contempler la gloire de Dieu et la divinité du Christ
- à distinguer le mystère de la Révélation dans le premier comme dans le nouveau Testament, centrée sur la mystère pascal
- à s’approcher des mystères de vie éternelle, de communion des saints et de Salut
- à apercevoir la Trinité unie dans une même œuvre et une même manifestation où le Père parle du fils dans l’Esprit (la nuée)
- à recevoir la mission du témoin, témoin de cette merveille bien sûr mais surtout témoin du Ressuscité
si tout le mystère chrétien, si tout ce qu’on appelle le kérygme, la première annonce, l’annonce fondamentale de ce qu’est la Bonne nouvelle est ainsi contenu dans ce texte, n’oublions pas qu’il n’est perceptible qu’avec la clef de la foi pascale, alors notre contemplation creusera notre désir de vivre et de revivre cette fête de Pâque en nous unissant à la croix du Christ pour qu’il nous unisse à sa Résurrection pour la vie éternelle en communion avec les patriarches, les prophètes, les apôtres, les saints, l’Eglise toute entière et surtout avec Lui le Fils choisit, le Fils bien aimé, le fils à écouter.