Évangile du 12 mars

Lectio Divina du dimanche 12 mars 2023 : 3e dimanche de carême (A)

Evangile de Jésus Christ selon st Jean
(Jn 4, 5-15.19b-26.39a.40-42)

En ce temps-là,
5 Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph.
6 Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi.
7 Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. »
8 – En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions.
9 La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.
10 Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’,c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
11 Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ?  
12 Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
13 Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ;
14 mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »
15 La femme lui dit :« Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser.
19 Je vois que tu es un prophète !…
20 Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. »
21 Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père.
22 Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
23 Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père.
24 Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »
25 La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »
26 Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »
39 Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus.
40 Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y demeura deux jours.
41 Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui,
42 et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »

  • Réflexion ligne à ligne pour aider et guider la lectio divina

En ce temps-là, 5 Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph.

Voici le début du récit bien connu de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine. Le récit commence par préciser les lieux. Mais une insistance surtout : le rappel du lien entre ce lieu et les patriarches. Il s’agit de rappeler que, malgré la situation présente de rivalité entre les deux peuples, il fut un temps où la Judée et la Samarie ne formaient qu’un seul peuple : le peuple de la promesse. Autrement dit, Jésus ne sort pas de sa mission quand il s’adresse ainsi à une samaritaine.

Et nous ? Savons-nous dépasser nos petites ou grandes querelles pour nous rappeler que devant Dieu, nous sommes tous frères ?

6 Là se trouvait le puits de Jacob.

Il ne s’agit pas seulement de se rappeler d’une possession ou d’un passage des patriarches. Il s’agit de se rappeler que c’est là, un lieu de grâce. Dans un lieu aride et désert, le don d’un puits est une bénédiction.
Si l’on passe maintenant au sens symbolique, l’eau symbolise la grâce, Jacob est le serviteur de Dieu, le puits le lieu où par le serviteur jaillit la grâce, il est la présence de Dieu dans ce monde…

Et nous savons-nous reconnaître la grâce de Dieu dans nos vies ? Et savons-nous où aller puiser cette ressource si pure et si nécessaire à notre vie et à notre sanctification ?

Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi.

Voici bien des précisions : Jésus, fatigué, nous montre ainsi son humanité. Le Dieu tout-puissant, parce qu’Il est tout puissant, n’est jamais fatigué… Mais l’homme, lui, connait la chaleur et la longueur du chemin…
Peut-être pour aller jusqu’au bout, pouvons-nous évoquer la Création :
02 Le septième jour, Dieu avait achevé l’œuvre qu’il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite. (Gn 2, 2)
Le repos de Dieu évoque la fatigue, mais, en fait, il traduit l’ère des hommes, non pas un temps où Dieu ne fait rien, mais où il entre en alliance avec les hommes pour leur confier son œuvre :
28 Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. » (Gn 1, 28)
Ainsi, la fatigue de Jésus présage-t-elle la rencontre et l’alliance qui va en naître avec la Samaritaine et tous ses concitoyens.
Il nous est dit ensuite qu’il s’assoit près de la source… Mais un puits n’est pas une source ! Il y a donc là quelque chose de symbolique qui nous sera expliqué plus tard à propos de l’eau vive…
Enfin, l’heure est la plus chaude du jour, non pas celle où l’on sort puiser l’eau normalement… Masi c’est aussi l’heure où le soleil est au zénith et symboliquement, notre soleil, c’est Dieu ; au zénith, il va nous montrer le plus fort de sa puissance et de son rayonnement…

Et nous ? Avons-nous conscience que c’est précisément parce que nous sommes libres et autonomes que nous pouvons rentrer dans une alliance d’amour avec Dieu ?
Et quelle sera alors la source de cette alliance (la Parole, les Sacrements, la prière, l’Eglise, l’amour des frères, les cinq ensemble ?)
Et quelle image de Dieu portons-nous dans nos cœurs pour pouvoir aller vers Lui en vérité ?

Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau.

Bien que nous soyons en Samarie, l’auteur précise « une femme de Samarie ». Cela pourrait être inutile, sauf pour souligner le caractère improbable de la conversation qui va suivre.
On est au bord du puits, et il est précisé qu’elle vient puiser… Là encore, c’est une évidence… sauf si l’on considère l’heure. Au moment le plus chaud, ce n’est pas le moment de sortir de l’ombre, ni de venir faire un travail de force. Elle le fait pourtant ! Sans doute parce qu’elle ne peut le faire à un autre moment : son histoire que nous révèle Jésus un peu plus loin, avec un mari illégitime, explique sans doute cela : elle n’a pas sa place avec les autres femmes du village, qui viennent sans doute puiser quand l’heure est plus fraîche…

Et nous ? Sommes-nous prêts à nous laisser surprendre et déranger ? Y a-t-il des personnes qui, pour nous, sont exclues à priori ? Est-ce que nous considérons tout homme comme un frère ?

Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. »

Il y a dans cette demande de l’opportunisme, mais aussi de l’autorité et enfin la reconnaissance d’une faiblesse. Jésus reconnait sa soif et son incapacité à l’étancher ; il s’en remet à la bonté de cette femme. Pour un homme, rien de plus naturel quoiqu’on puisse s’étonner que les disciples l’aient laissé là en plein soleil, à midi et sans rien à boire ou pour puiser… mais pour le fils de Dieu : quelle humilité !

Et nous ? Sommes-nous prêts à entendre les demandes de Dieu ? Nous savons qu’il n’a pas besoin de nous, lui qui est tout Puissant, mais sommes-nous prêts à entendre son désir de nous rencontrer, de nous aimer, de susciter notre amour, de coopérer au Salut du monde ?

8 – En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions.

Il ne nous étonne pas que les disciples fassent le service… Il nous étonnera peut-être d’avantage qu’ils y soient tous allés, laissant Jésus seul et sans même de quoi puiser de l’eau…
Si l’on regarde dans le reste de l’évangile les moments où les disciples laissent Jésus seul, c’est quand il va prier :
22 Aussitôt Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules.
23 Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. (Mt 14, 22-23)
Ou au moment de son agonie :
39 Allant un peu plus loin, il tomba face contre terre en priant, et il disait : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux. » (Mt 26, 39)
Sans doute faudrait-il ajouter qu’ils l’ont abandonné dans sa passion et au pied de la croix…
Autrement dit, quand Jésus est seul, c’est face à son Père et pour le Salut de l’humanité… Et ici, il est seul près de la source et prêt à accueillir cette femme étrangère…

Et nous ? Quand nous voulons rendre service à Dieu, sommes-nous bien sûr de faire ce qu’Il veut ? Acceptons-nous que parfois il veuille « être seul », se passer de nous, ou nous cantonner à des tâches subalternes (les provisions) quand, lui, fait les plus hautes (l’Evangélisation) ? Et saurons-nous accepter ce qui s’est fait sans nous ?

9 La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.

Voici qui vient confirmer la rivalité entre les peuples que nous avons évoquée plus haut. Le texte commençait par rappeler la proximité entre juifs et samaritains qui formaient autrefois le seul peuple de Dieu. Il insiste maintenant sur leur séparation. Mais la phrase de cette femme montre aussi combien la demande du Christ vient rompre les convenances : Il est prêt à tout pour annoncer la Bonne Nouvelle. Elle souligne aussi le désir de cette femme de parler et de retrouver sa place au milieu de son peuple, auquel elle s’identifie ici.

Et nous ? Sommes-nous conscients du peuple auquel nous appartenons ? Quels que soient nos péchés, nous sommes des fils de Dieu, membres du peuple de Dieu. Avons-nous conscience de ce que Dieu fait lorsqu’il nous aime et nous parle,-nous les pauvres créatures pécheresses ? Avons-nous le désir d’être toujours plus dignes (devrions-nous dire moins indignes ?) du peuple dont nous sommes membres par le baptême ?

10 Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu

L’Evangile en parle nulle part ailleurs de ce don de Dieu, mais les Actes des Apôtres en sont remplis, voici les citations les plus évidentes :
2.04 Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
2.38 Pierre leur répondit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit.
8.20 Pierre lui dit : « Périsse ton argent, et toi avec, puisque tu as estimé pouvoir acheter le don de Dieu à prix d’argent !10.45 Les croyants qui accompagnaient Pierre, et qui étaient juifs d’origine, furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l’Esprit Saint avait été répandu.
11.17 Et si Dieu leur a fait le même don qu’à nous, parce qu’ils ont cru au Seigneur Jésus Christ, qui étais-je, moi, pour empêcher l’action de Dieu ? »
Ainsi le don de Dieu, c’est l’Esprit, celui qui nous recevons le jour de notre baptême. Nous l’avons reçu par l’eau et le Seigneur en parle à propos de sa demande « donne-moi à boire ».

Et nous ? Connaissons-nous ce don que Dieu nous a fait ? Le laissons-nous vivre et grandir en nous ?

et qui est celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »

Voici que le Seigneur est plus explicite : il parle d’eau vive qu’il lui donne et non plus seulement d’eau à boire. Pour nous, c’est évident : l’eau vive est non seulement celle qui coule mais aussi celle qui donne la vie. Jésus parle bien du baptême. Le chapitre 4, chapitre en cours de l’Evangile de Saint Jean qui commence d’ailleurs ainsi :
01 Les pharisiens avaient entendu dire que Jésus faisait plus de disciples que Jean et qu’il en baptisait davantage. Jésus lui-même en eut connaissance.
02 – À vrai dire, ce n’était pas Jésus en personne qui baptisait, mais ses disciples. (Jn 4, 1-2)
Il s’agit donc bien de baptême, et la recommandation du Christ à la samaritaine et à travers elle, à toute l’humanité est bien de demander le baptême.
Et cela ne peut se faire que si l’on découvre qui est cet homme, seul en plein midi, fatigué mais intéressé par tout étranger qui passe : le Seigneur, qui seul est dans la lumière, tandis que nous sommes dans les ténèbres du péché, mais qui a pris notre pauvre condition de créature car tout homme l’intéresse, il est venu sauver tous les hommes.

Et nous ? Connaissons-nous le Seigneur par qui nous recevons l’Esprit au jour de notre baptême ? Savons-nous qu’il nous aime au point de nous rejoindre et de nous donner son propre Esprit pour nous sauver ? N’est-ce pas ce que signifie la parole :
Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli. » Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. (Jn 19,30)
Il remet l’esprit dans le monde en offrant sa vie sur la croix, et nous le recevons par notre baptême.

11 Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ?

Cette femme n’a pas la connaissance que nous avons, elle ne comprend pas, elle en reste à une compréhension matérielle des paroles du Christ. Mais nous y voyons à la fois de la curiosité et de l’incrédulité. L’opposition entre le puits et l’eau vive montre l’incrédulité ; la question montre la curiosité. Voici donc comment le Seigneur vient à la rencontre de cette femme qui représente l’humanité :
– Il se fait homme, il se fait l’un de nous.
Il s’intéresse à celle qui vient et même, n’hésite pas à se faire petit devant elle.
Il accueille sa parole et même ses objections.
Il commence à lui révéler son mystère mais à mots voilés pour toucher sa curiosité et provoquer son incrédulité.
Ce texte ne nous parle pas seulement de baptême, il parle d’Evangélisation et nous montre l’exemple du maître lui-même.

Et nous ? Saurons-nous écouter cette leçon et nous mettre à la suite de celui qui nous a donné cette ultime ordre ;
19 Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
20 apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28, 19-20)

12 Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »

Cette question, si elle est sérieuse, montre que cette femme est touchée et veut vraiment comprendre qui est celui qui lui parle. Mais si elle est ironique, elle nous montre un secret plus grand encore : en la provoquant, le Seigneur l’a amenée à comparer le Seigneur au prophète, Il la pousse même à se demander s’il ne serait pas plus grand… Autrement dit, que ce soit par la provocation ou par l’intérêt, le Seigneur amène cette femme, l’humanité à le regarder en face, avec un regard de vérité.

Et nous ? Nous laissons-nous interroger ? Saurons-nous aller plus loin que notre indifférence pour interroger notre incrédulité ou nos objections pour découvrir celui qui est plus grand ?

13 Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ;

Avec patience, le Seigneur se met au niveau de son interlocutrice. Il repart une fois de plus de la réalité matérielle mais pour en montrer le caractère superficiel, éphémère et faible. Il l’invite à contempler le peu d’intérêt de ce dont elle parle pour mieux l’en détacher.

Et nous ? Sommes-nous capables de faire la différence entre la vie de ce monde et le don de Dieu ? Pouvons-nous voir la vanité des biens et richesses matérielles pour mieux nous attacher aux richesses divines ?

14 mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »

Voici maintenant la manière dont le Seigneur fait passer de l’incrédulité à la foi ou de l’ironie à la réalité. Plus encore, il fait passer de l’image à la réalité, du signe à la grâce. Il fait en effet comprendre que ce n’est pas d’une eau matérielle qui naturellement passe et fait que la soif revient.
Nous pouvons rapprocher ce texte d’un autre pourtant fort dissemblable. Au jour du sermon sur ma montagne, le Seigneur fait passer d’une alliance à l’autre, d’une loi à l’autre en faisant plusieurs fois la distinction :
« Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : …
Eh bien ! moi, je vous dis : … (CF Mt 5)
Et bien ici : vous savez que quiconque boit cette eau aura soif et bien moi je vous dis, l’eau que je donnerai…
Il ne s’agit pas ici seulement de passer d’une alliance à l’autre, mais même d’un monde à l’autre.

Et nous ? Voulons-nous faire partie de ce monde nouveau ? Désirons-nous vivre de la grâce de Dieu ? Que faisons-nous pour qu’il en soit ainsi ? Bien sûr, c’est Dieu qui nous l’accordera mais il nous faut manifester notre désir de recevoir un tel don.

15 La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser.

Regardons l’évolution de cette femme : au début, elle interpelle Jésus : ‘toi, un juif » ; maintenant elle lui adresse une parole plus respectueuse : « Seigneur ». Au début, elle s’étonne de sa demande puis s’en moque ou la met à l’épreuve mais maintenant c’est elle qui demande. Elle prendra posture du disciple, celui qui demande et accepte de dépendre d’un autre… sa conversion est en route.

Et nous ? Comment pouvons-nous domestiquer notre orgueil ou notre incrédulité pour devenir d’humbles disciples ? Savons-nous repérer ce dont nous avons besoin pour pouvoir le demander avec foi et confiance ? Comprenons-nous ainsi ce que signifient ces paroles :
« Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux.
04 Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux.(Mt 18, 3-4)
Et encore :
« Laissez les enfants venir à moi, et ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent.
17 Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » (Lc 18, 16-17)
Car c’est cela être un enfant : savoir que nous sommes petits et que nous avons besoin d’un plus grand, le Seigneur. Comme cette femme, il faut savoir demander et reconnaître notre besoin.

 19 Je vois que tu es un prophète !…

Après l’avoir catalogué parmi les juifs, l’avoir appelé « Seigneur », voici qu’elle reconnaît en lui un prophète. Sa foi s’approfondit mais n’est pas encore parfaite. Son regard se clarifie mais sans être encore lumineux. Cela peut nous faire penser à ce fameux miracle en deux temps du Seigneur sur un aveugle :
23 Jésus prit l’aveugle par la main et le conduisit hors du village. Il lui mit de la salive sur les yeux et lui imposa les mains. Il lui demandait : « Aperçois-tu quelque chose ? »
24 Levant les yeux, l’homme disait : « J’aperçois les gens : ils ressemblent à des arbres que je vois marcher. »
25 Puis Jésus, de nouveau, imposa les mains sur les yeux de l’homme ; celui-ci se mit à voir normalement, il se trouva guéri, et il distinguait tout avec netteté. (Mc 8, 23-25)
Peu après, et comme en écho à ce texte, Jésus demande ce que les gens disent de lui, les disciples répondent :
« Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. » (Mc 8,28)
C’est que les foules n’y voient pas clair. Mais Jésus interroge ensuite les disciples et c’est Saint Pierre qui répond :
« Tu es le Christ. » (Mc 8, 29)
Il y voit clair. Cette femme n’y voit pas encore clair, elle dit « tu es un prophète ».

Et nous ? Que dirions-nous ? Que répondrions-nous au Christ s’il nous interrogeait ? Et surtout que dirons-nous à nos frères qui nous demanderons de rendre compte de notre foi ?

20 Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. »

Si elle ne voit pas encore clair sur cet homme, et qui le pourrait, elle interroge directement sur le plus important : quelle adoration, quelle bonne relation doit-on avoir avec Dieu ? Elle distingue les deux peuples, mais non pour les opposer ; elle les distingue pour avoir une autre réponse, pour chercher la vérité au-delà des habitudes, des traditions de chaque peuple, « traditions » avec un petit « t ». Ce qui lui importe, ce n’est plus ses habitudes ou les convenances, ce n’est plus les soucis matériels, c’est la prière et l’amour de Dieu. Quelle évolution !

Et nous ? Pouvons-nous refaire notre « histoire sainte » ? Sommes-nous capables de repérer les personnes et les événements qui ont jalonné notre histoire et nous ont tournés vers Dieu, nous ont appris à le connaître et à l’aimer ?

21 Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père.

Jésus, Lui non-plus, ne s’intéresse pas à ses traditions trop matérielles et mesquines. Il réfute ou dépasse ce problème. Mais il insiste sur l’adoration et surtout lui demande le plus fondamental : « crois-moi »

Et nous ? Voyons les étapes de la conversion qui continuent de s’enchaîner :
– Elle se laisse interpeller par cet inconnu.
– Elle entre en dialogue avec lui.
– Elle le met à l’épreuve.
– Elle reconnaît en lui quelqu’un de différent, elle l’appelle « Seigneur », elle lui demande de l’eau se faisant son disciple.
– Elle se laisse toucher, elle le prend pour un prophète.
– Elle entend l’appel à la foi.
Saurons-nous avec patience emprunter un tel chemin ?

22 Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.

Cette double affirmation montre que l’adoration n’est pas seulement une question de connaissance, puisque les samaritains adorent ce qu’ils ne connaissent pas. Ainsi, il est toujours temps de commencer à prier et à adorer, même si l’on n’est pas sûr de sa foi ou de ses connaissances. C’est le Seigneur qui précède, c’est la prière qui est première, ensuite viennent l’expérience et donc la personne de l’adorateur. Mais elle montre aussi qu’adorer ce qu’on connaît est meilleur, il faut donc chercher la rencontre. Enfin, vient l’affirmation sur la salut qui est comme une justification et une glorification du peuple juif, de son élection et de son alliance avec Dieu.

Et nous ? Connaissons-nous le Seigneur que nous prions ? Comment améliorer notre prière et grandir dans la connaissance de Celui-ci ? Désirons-nous, vraiment et plus que tout, faire sa rencontre (ou la refaire) ?

23 Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père.

Et voici qu’une fois de plus, le Seigneur invite à dépasser la loi et la prière juive, l’adoration juive ou samaritaine, pour entrer dans un monde nouveau, celui de l’Esprit et pour passer d’une connaissance partielle à la vérité. Voici un nouvel exemple de la manière dont le Seigneur « n’est pas venu pour abolir mais accomplir. » (cf Mt 5, 17).
On passe d’une alliance par les sacrifices sanglants et la prière extérieure et rituelle, à une alliance spirituelle où le sacrifice est d’abord le don de soi et la rencontre spirituelle, et intérieure :
06 Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. (Mt 6, 6)
Notons que c’est le Père qui cherche les adorateurs et non le contraire. Par le Seigneur, nous savons que c’est toujours Dieu qui aime le premier et qui a l’initiative.

Et nous ? Avons-nous fait cette conversion spirituelle ? Si nous avons bien sûr des rites (l’Eglise ne cesse de nous en proposer à juste titre), sommes-nous capables d’y voir un culte en esprit et vérité ? Il ne s’agit pas de les épurer et de les faire disparaître, mais de les comprendre et de s’attacher à leur sens profond pour mieux encore adorer en esprit et vérité ;
Et sommes-nous conscients qu’en vivant une telle adoration, nous sommes simplement en train de répondre à un appel de Dieu surgi en nous ?

24 Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »

Et voici maintenant la justification, l’explication de ce changement : il s’agit de tout centrer sur Dieu puisque tout vient de Lui et va vers Lui. La prière n’est plus conçue comme un élan de l’homme vers Dieu et donc qui doit se centrer sur l’homme et ses capacités, elle est un dialogue que Dieu initie et conclut mais dont nous sommes protagonistes. Elle se centre donc sur Dieu et nous sommes invités à l’imiter, à être face à lui ce que nous sommes : ses images et ses fils.

Et nous ? Est-ce que nous sommes des fils très aimants se tournant vers le Père dont ils reçoivent tout ? Est -ce que nous adorons en esprit et vérité ?

25 La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »

Voici une nouvelle étape dans la conversion : après avoir reçu l’appel de la foi, la voici qui en fait profession. Elle affirme « je sais », (foi) elle attend « il vient », et elle a déjà confiance et respect et même désir de cette rencontre « il nous fera connaître toute chose » (charité). La profession de foi est toujours source d’espérance et enracinement dans la charité, sinon c’est une foi morte ou vaine.
Notez qu’elle ne demande plus rien, elle ne parle même plus en s’adressant à Jésus, elle se contente de proclamer sa foi et de se mettre ainsi à disposition.

Et nous ? Notre espérance et notre charité sont-elles au rendez-vous de tous nos actes de foi ? Est-ce que notre foi change notre regard sur le monde (espérance) et sur les autres, les frères et même Dieu (charité). Savons-nous nous mettre simplement face à Dieu, disponibles à sa parole et sa volonté, humbles et obéissants ?

26 Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »

Cette ultime attitude de foi, la plus pure et la plus profonde, entraine la plus belle des réponses : la Révélation. Jésus se reconnaît et proclame le messie. Il lui permet d’apercevoir son mystère el plus profond et nous avec elle !

Et nous ? Nous pouvons éprouver la vérité de notre foi à l’aune de cette révélation. Il ne s’agit pas de visions, d’apparitions, ni même d’aucun autre signe sensible de ce genre car le Seigneur ne les donne que quand et comme Il le veut pour affermir la foi. De tels signes ne sont en rien indispensables. Il s’agit plutôt de certitudes de foi, d’évidence et de contemplation de la réalité de l’amour et de la miséricorde de Dieu. Si l’amour de Dieu est une évidence, si nous contemplons en toute chose la miséricorde de Dieu pour nous, alors nous savons que notre foi est réelle et vivante.

39 Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus.

Une telle affirmation a quelque chose de provocateur pour les juifs qui sont leurs ennemis. Ainsi on peut rapprocher cette phrase avec d’autres bien connues comme :
« Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. (Mt 21, 31)
Mais plus encore et la suite le montrera, elle nous permet de comprendre que la foi est « contagieuse ». L’expérience vécue par cette femme deviendra la source de nombreuses expériences du même type, faites par ceux qui le a rencontreront.

Et nous ? Avons-nous une foi contagieuse ? Comment témoignons-nous de ce que nous avons reçu, de ce que nous avons vécu ?

40 Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y demeura deux jours.

C’est la femme qui les a orientés vers Lui. Ils viennent à la suite de son témoignage ; nous l’avons dit : la foi est contagieuse. Mais il y autre chose qui se joue ici. Ils ne se sont pas contenté de venir faire les curieux, de constater par eux-mêmes si les dires de cette femme étaient vrais. Ils se sont impliqués et engagés eux-mêmes : à cause d’elle, ils sont venus, mais c’est eux-mêmes qui ont décidé d’inviter le Seigneur à demeurer parmi eux. Cela n’avait rien d’évident. Au contraire, rappelons-nous d’un autre village de Samarie :
52 Il envoya, en avant de lui, des messagers ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.
53 Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. (Lc 9, 52-53)
Ou encore les Géraséniens :
36 Ceux qui avaient vu leur rapportèrent comment le possédé avait été sauvé.
37 Alors toute la population du territoire des Géraséniens demanda à Jésus de partir de chez eux, parce qu’ils étaient en proie à une grande crainte. (Lc 8, 36-37)
Il y a donc un choix libre posé par ces gens, un désir du Christ et une foi en lui qui est ici soulignée et louée.

Et nous ? Quels actes libres posons-nous pour montrer au Seigneur que nous l’aimons, que nous le désirons, que nous nous mettons à sa disposition ? Peut-être pouvez-vous vous rappeler la dernière fois que vous l’avez fait et découvert ou bien vous remémorer tout ce que cela vous a apporté ?

41 Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui,

Nous avons souligné déjà combien la foi est contagieuse, mais bien sûr, la Parole est plus évangélisatrice par elle-même que par l’intermédiaire d’un témoignage. Celui-ci, sans doute, permet d’entendre et prépare le cœur à recevoir la Parole. Mais c’est bien elle qui est la première évangélisatrice. C’est pour cela que sur la parole de la femme, ils crurent, ils vinrent et ils invitèrent, mais sur la parole de Jésus, ils furent « beaucoup plus nombreux ».

Et nous ? Quel genre d’évangélisateurs sommes-nous ? Il faut bien sûr annoncer et témoigner de notre foi, mais le plus important encore est d’amener nos frères à Jésus, par la Parole et les sacrements. Il ne s’agit pas de résumer l’évangélisation à la culture chrétienne (savoir ce que Jésus a dit), ni même à une sacramentalisation (combien de baptêmes, de premières communions ou de confirmations…) mais de la déployer jusque dans la rencontre personnelle, qui se fait bien sûr dans la prière, mais aussi et d’une manière à la fois unique et indispensable dans la fréquentation spirituelle et approfondie des saintes Ecritures prises pour ce qu’elles sont : la Parole vivante et vivifiante de Dieu, et dans la vie sacramentelle, source de grâces incomparables. C’est lorsque nos frères rencontrent Dieu dans l’Eglise, la prière, la Parole de Dieu, les sacrements et le service des frères que nous pouvons estimer qu’ils sont évangélisés (ce qui ne veut pas encore dire saints).

42 et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »

Leur foi n’est plus seulement la conséquence d’un témoignage. Ils sont heureux de cette rencontre et ils la proclament. Notez que la samaritaine ne le déplore pas, elle n’essaie pas de capter la foi pour elle ou d’en tirer orgueil ou avantage. Notez aussi qu’ils ne craignent pas de lui dire que désormais, ils ont dépassé son témoignage : ils sont dans la vérité et la contemplation de quelque chose de plus grand. Il y a dans cette déclaration la reconnaissance du rôle nécessaire qu’elle a eu mais aussi de la vérité de sa mission qui ne les a pas tournés vers elle mais bien vers Dieu.
La déclaration finale montre enfin que la Bonne Nouvelle est advenue dans leur cœur : c’est une connaissance (nous savons) et une espérance (le sauveur) universelle (du monde).

Et nous ? Savons-nous être des serviteurs inutiles ? Acceptons-nous de disparaitre quand le Seigneur est présent ? Sommes-nous, comme ces amis de l’époux dont parle saint Jean Baptiste :
29 Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite.
30 Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue. (Jn 3, 29-30)

En guise de conclusion :
ce texte est à la fois à lire pour le récit qu’il fournit et au plan symbolique. Le récit nous livre une rencontre où Jésus nous expose l’art de l’évangélisation. Il commence par une personne qu’il surprend, attire, intéresse et touche pour lui révéler ensuite son mystère et la laisser en tirer les conséquences. Elle croit, elle professe, elle témoigne. Ensuite vient le tour des autres villageois, ils découvrent et entendent, ils décident et accueillent, ils croient à leur tour et s’en réjouissent tous ensemble dans l’action de grâce.
Une lecture symbolique nous montre un Seigneur qui s’est fait homme mais qui éclaire de toute sa gloire une humanité d’abord étrangère et incroyante mais peu à peu transformée convertie et devenue l’Eglise de Dieu. Une église qui semblait rejetée au banc de la société mais qui pourtant va amener le monde entier à Dieu, devenant du même coup un membre de la communauté nouvelle qui nait et même plus un membre fondateur, comme une origine qui est rapidement dépassée mais dont on aime faire mémoire et rendre grâce.
Quelle que soit la lecture, nous ne pouvons que nous interroger nous-mêmes, sur notre rencontre et notre expérience de Dieu, sur notre foi et notre disponibilité à accueillir et à vivre la rencontre, sur notre témoignage et notre désir d’évangéliser et enfin sur l’humilité qu’il nous faut pour disparaître devant le maître lorsqu’il se manifeste et que désormais notre médiation n’est plus nécessaire.
Lecture historique (un événement et des personnages vrais), lecture symbolique (qui permet de voir une réalité plus grande) ou lecture personnelle (qui invite à la conversion du lecteur) : toutes ces lectures sont légitimes et complémentaires ; elles nous montrent la richesse insondable de la Parole et le soin que Dieu met à nous appeler à lui. Alors, sans tarder, répondons-lui, aimons-le et servons-le dans nos frères.

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