Avant tout je vous propose un temps de prière autour du texte d’évangile, selon la méthode dites de la « lectio divina » (lecture divine, lecture de la Parole divine) en groupe (la famille ou personnellement) la méthode est juste ci-dessous.
Ensuite je reprends le texte et vous invite à une méditation partie par partie. Cela devrait vous aider à mieux comprendre le texte et à mieux l’assimiler mais rien ne vaut le temps de prière initial.
Bonne réflexion et prions les uns pour les autres !
Père Christohpe
LECTIO DIVINA : LA METODE
1- lire silencieusement le texte évangélique pour une meilleure compréhension
2- lire à haute voix (une personne) sans lenteur ni précipitation
Silence pour intérioriser (3 minutes)
Expression libre : chacun est invité à dire le groupe de mots du texte qui lui parle, le touche ; les autres écoutent et accueillent sans questions ni commentaires
3- Relire le texte à haute voix (une autre personne)
Silence pour intérioriser (5 minutes) : qu’est-ce qui me parle aujourd’hui ; comment cela touche-t-il ma vie ?
Expression brève pour ceux qui le souhaitent
4- relire le texte à haute voix (une troisième personne)
Silence pour intérioriser (5minutes) : Quelle prière monte en moi ?
Expression libre et brève d’une prière
Terminer par un Notre Père en commun
Evangile de Jésus Christ selon st Luc (Lc 10,25-37)
25 En ce temps-là, un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
26 Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? »
27 L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »
28 Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. »
29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? »
30 Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
31 Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté.
32 De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté.
33 Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion.
34 Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui.
35 Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : “Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.”
36 Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? »
37 Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »
Lecture ligne à ligne
25 En ce temps-là, un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve
Ce passage suit directement l’envoi des disciples en mission puis leur retour dans la joie. On peut s’étonner qu’un docteur de la loi soit là pour mettre Jésus à l’épreuve alors qu’Il est en train d’accueillir ses disciples-missionnaires. Mais juste après l’envoi des disciples avec les consignes données (Allez… ne prenez ni sac ni sandales… Lc 10, 3-12), le discours continue :
13 Malheureuse es-tu, Corazine ! Malheureuse es-tu, Bethsaïde ! (Lc 10, 13 ss)
Il suggère ainsi que les 72 ont été choisis au milieu d’une foule plus large, à qui Jésus s’adresse aussi. Parmi eux, ce docteur de la loi, peut-être vexé de ne pas avoir été choisi, peut-être choqué par les consignes données par Jésus qui semblent extrêmes dans leur exigence de pauvreté et de radicalité ? Peut-être là pour piéger Jésus et saisissant une occasion ?
Et nous ? Quand nous écoutons la Parole, dans nos propres lectures, dans les lectures de la messe ou de toute autre célébration, dans les homélies… quelle est notre attitude ? Sommes-nous de ceux qui accueillent ? ou bien sommes-nous jaloux et prêts à réclamer au Seigneur qui pourtant ne nous doit rien ? Ou bien sommes-nous frileux et craintifs, refusant de nous laisser toucher ou transformer ? ou encore sommes-nous sur la défensive ? toujours prêts à critiquer ou à refuser l’enseignement en ergotant sur les difficultés ou en critiquant ce qui nous déplait ?
en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
L’Evangile précise que c’est une façon de mettre Jésus à l’épreuve. La question paraît pourtant profonde et essentielle. En quoi est-elle une mise à l’épreuve ? Cette question arrive alors que Jésus vient d’envoyer ses disciples en mission, leur enjoignant d’être seulement inquiets de l’annonce du Royaume :
« ne saluez personne en chemin. »(Lc 10, 4)
ou
« Ne passez pas de maison en maison. »(Lc 10, 7)
Et aussi de se montrer sans concession avec ceux qui n’écoutent pas :
10 Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites :
11 “Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.”
12 Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. (Lc 10, 10-12)
Jésus semble ainsi mettre l’Amour de Dieu comme seul et unique critère de la bonne action pour les disciples comme pour ceux qui les reçoivent.
Pourtant, il lui est aussi souvent reproché de faire trop bon accueil aux pécheurs comme Zachée (Lc 19, 1-10), Matthieu le publicain (Mt 9 , 9-13), la femme adultère(Jn 8, 3-11), la pécheresse qui lui oint les pieds (Lc 7, 36-50). Si donc, dans sa réponse Jésus insiste sur le soin des frères, y compris des pécheurs, il sera critiqué pour ne pas assez obéir et respecter Dieu. Mais si sa réponse insiste sur l’Amour de Dieu et l’observation des commandements, on lui opposera alors sa proximité avec les pécheurs. Quoi qu’Il dise, Il sera donc critiqué et mis en difficulté.
Il reste que la question, même si elle est posée dans un mauvais esprit, est fondamentale et nous vaudra la plus belle des réponses et l’une des plus belles paraboles.
Et nous ? Sommes-nous des chercheurs de vie éternelle ? Savons-nous comment agir et nous comporter pour que le Seigneur nous y accueille
26 Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? »
A la manière rabbinique, Jésus répond sans donner la solution mais en orientant la réflexion de celui qui interroge. Il peut ainsi savoir ce que son interlocuteur pense et a dans le cœur pour mieux l’éclairer, et Il l’oblige aussi à prendre position pour que la conversation ne reste pas superficielle. Si l’homme est vraiment un chercheur, il dira comment il cherche ; s’il refuse de répondre, c’est qu’il ne s’implique pas dans la conversation qui devient inutile. Jésus nous montre bien cela dans une autre conversation :
01 Un de ces jours-là où Jésus, dans le Temple, enseignait le peuple et proclamait la Bonne Nouvelle, survinrent les grands prêtres et les scribes avec les anciens.
02 Ils lui demandèrent : « Dis-nous par quelle autorité tu fais cela ? Ou alors qui est celui qui t’a donné cette autorité ? »
03 Il leur répliqua : « Moi aussi, je vais vous poser une question. Dites-moi :
04 Le baptême de Jean venait-il du ciel ou des hommes ? »
05 Ils firent entre eux ce raisonnement : « Si nous disons : “Du ciel”, il va dire : “Pourquoi n’avez-vous pas cru à sa parole ?”
06 Si nous disons : “Des hommes”, le peuple tout entier va nous lapider, car il est persuadé que Jean est un prophète. »
07 Et ils répondirent qu’ils ne savaient pas d’où il venait.
08 Alors Jésus leur déclara : « Eh bien, moi non plus, je ne vous dis pas par quelle autorité je fais cela. » (Lc 20, 1-8)
Ces gens refusent de s’impliquer, ils ne répondent que par un biais (nous ne savons pas), Jésus refuse donc d’aller plus loin dans une relation oiseuse. Ils ne cherchent que querelle ou mauvais mots, pourquoi perdre du temps avec eux ? Mais telle n’est pas l’attitude de celui qui lui parle dans notre texte, ou du moins, pour s’en assurer, Jésus l’interroge.
Et nous ? Sommes-nous prêts à nous impliquer dans notre dialogue avec le Seigneur ? Quand nous lui parlons dans la prière, quand nous lui demandons quelque chose ou que nous l’interrogeons, sommes-nous prêts à nous convertir ? Y a-t-il eu dans nos vies un événement qui puisse nous faire dire : « le Seigneur m’a parlé, il a changé ma vie, voici comment…»
27 L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »
Voici bien un docteur de la loi : sur une demande aussi importante il n’est pas sans réponse. Et sa réponse est même très élaborée puisqu’il rapproche deux textes très distincts :
04 Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique.
05 Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. (Dt 6, 4-5)
Et
18 Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur. (Lv 19, 18)
Il s’implique bien dans la conversation et livre le fruit de sa recherche personnelle. Ainsi, l’épreuve devient dialogue et l’honnêteté de cet homme va lui permettre de recevoir un bel enseignement mais d’abord les éloges du maître.
Et nous ? Sommes-nous de ceux qui cherchent des réponses dans les écritures ? Sommes-nous des assoiffés de la Parole ? Avons-nous pris cette bonne habitude de rapprocher les textes qui vont ensemble pour mieux comprendre ce que Dieu nous dit ?
Les deux commandements ainsi unis montrent que la vie ne trouve son sens que dans l’amour et que dans le fond il n’y a qu’un amour. Si celui-ci est dirigé d’abord vers Dieu, il finira alors vers ses enfants : les hommes, nos prochains, comme nous l’enseigne saint Jean dans sa première lettre :
11 Bien-aimés, puisque Dieu nous a tellement aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. (1 Jn4, 11)
Et s’il est dirigé vers les frères, il nous fera reconnaitre dans l’image le Créateur et nous obligera à nous tourner vers la source de tout amour. Saint Jean le dit encore très bien :
12 Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et, en nous, son amour atteint la perfection. (1 Jn 4, 12)
Et nous ? unissons-nous vraiment l’amour de Dieu et l’amour des frères ? Ces deux amours qui n’en font qu’un s’entrainent-ils l’un, l’autre pour élever notre cœur vers un amour toujours plus grand ?
28 Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. »
Dans les autres évangiles, c’est Jésus lui-même qui donne cette réponse :
36 « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »
37 Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.
38 Voilà le grand, le premier commandement.
39 Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
40 De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » (Mt 22, 36-40)
Ou encore :
28 Un scribe qui avait entendu la discussion, et remarqué que Jésus avait bien répondu, s’avança pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? »
29 Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur.
30 Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.
31 Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » (Mc 12, 28-31)
Mais ici, il la suscite puis félicite celui qui a compris et trouvé la bonne réponse. Il nous montre ainsi, non seulement le chemin de la vie, mais aussi que les réponses nous sont accessibles.
Et nous ? Quelle plus belle récompense pouvons-nous espérer que d’entendre celui qui EST la Parole nous féliciter de l’avoir reçue ? mais pour cela, il nous faut prendre le temps, chercher et tendre l’oreille, ouvrir son intelligence et son cœur et demander la grâce de Dieu, le faisons-nous ?
29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? »
Il a voulu mettre Jésus à l’épreuve, mais cela n’a pas fonctionné. La discussion pourrait tourner court mais cet homme ne le veut pas, il aurait l’impression de perdre la face. Il relance donc d’une autre manière. Jésus envoie ses disciples avertis sur les villes qui ne les accueilleront pas mais en concluant :
Allez sur les places et dites :
11 “Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.” (Lc 10, 10-11)
Ainsi, même ceux-là doivent être évangélisés et donc aimés. Ceux qui n’accueillent pas la Parole sont-ils pourtant des prochains ? et nous avons évoqué le bon traitement que Jésus réserve aux pécheurs, sont-ils eux aussi des prochains ?
Cet homme, qui sait quel est le commandement de Dieu, veut aussi savoir ce que Dieu entend par « prochain ». Il mettait Jésus à l’épreuve et maintenant, il se laisse enseigner par Lui.
Et nous ? N’avons-nous pas tendance à trier et à choisir ceux que nous devons aimer ? Si nous faisions confiance au Seigneur, nous accueillerions tout homme qu’il met sur notre route comme un prochain à aimer ! Si nous disions en vérité la prière du Seigneur, nous saurions que nous avons tous un même Père, et que nous sommes donc tous frères, tous prochains les uns des autres… Est-ce le cas ?
30 Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho,
Voici la pédagogie de Jésus : plus haut, il a répondu par une autre question, maintenant c’est avec une parabole. Jamais, il n’utilise de réponse toute faite, il n’impose pas ses vues, Il oblige à la réflexion et à l’implication.
L’axe Jérusalem/Jéricho est un chemin à la fois très fréquenté (car il emmène en direct vers le Jourdain ou vers la capitale selon que l’on descend (comme cet homme) ou que l’on monte), et très inquiétant, car il traverse le désert, passe par des gorges resserrées et profondes, descend parfois de manière très abrupte… le récit est donc d’emblée évocateur.
Et dans une lecture spirituelle, Jérusalem est la ville sainte qui représente le ciel, et Jéricho la ville basse, proche du Jourdain, représente la terre, ce monde. L’homme, qui descend ainsi, peut représenter Adam, l’humanité qui devait vivre dans l’intimité sainte de Dieu mais qui, en péchant a quitté le paradis pour la terre.
Et pourquoi ne pas y voir aussi le Seigneur lui-même qui, en se faisant homme, descend d’auprès de Dieu parmi les hommes ?
Et nous ? Acceptons-nous de nous laisser interroger par la parabole ? Saurons-nous reconsidérer qui doit être notre prochain ? Nous reconnaissons-nous dans cet homme qui s’éloigne trop de son Dieu ? Ou bien saurons nous accueillir le Christ qui vient croiser nos chemins ?
et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
Là encore, le premier sentiment vient du réalisme de cette histoire : sur un chemin qui vient de la capitale, trouver des bandits qui veulent détrousser les voyageurs est une évidence.
Si l’on passe à l’interprétation spirituelle, nous savons que les bandits qui détroussent Adam sont les démons, les tentations qui lui ont fait quitter le plan divin, la volonté de Dieu, sa destinée de créature très aimée de Celui qui l’a fait à son image. Ils l’ont coupé de la source de la vie, il est donc comme mort.
Et dans l’interprétation plus mystique et centrée sur le Christ, nous reconnaissons, là, le mystère de la Croix où les hommes pécheurs, où le démon dans sa furie ont voulu détruire et tuer le fils de Dieu, lui-même.
Et nous ? Savons-nous qu’à cause du péché, nous sommes comme morts ? Comptons nous sur Dieu qui seul peut nous rendre la vie
31 Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté.
Un prêtre qui descend de Jérusalem, sans doute revient-il de son service au Temple, Il a prié et servi son Dieu, il est pur et ne veut se souiller en touchant un mort. Il peut se revendiquer de la loi. Là encore, cette histoire est des plus plausibles et réalistes. Jésus a bien observé le comportement de ses contemporains. Il fait une critique sans doute, mais aussi, il souligne que la loi est en train de changer, qu’il y a plus que la stricte observance. Cela vient après l’énoncé des commandements de l’amour ; désormais, c’est bien la loi d’amour qui va s’imposer.
Et nous ? Avons-nous parfois tendance à nous cacher derrière les lois et règlements pour ne pas servir ou aimer ? L’amour est-il toujours notre premier moteur
32 De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté.
Jésus insiste. Le lévite montre qu’il ne s’agit pas seulement de pureté rituelle mais aussi de pureté « tout court ». Ceux qui sont sensés être des modèles et des guides sont tellement occupés par leur propre sort, leur supériorité qu’ils ne savent plus avoir de compassion.
Et nous ? Quel est notre premier élan ? L’amour et le service du frère ou la préservation de nous-mêmes et de nos privilèges ?
33 Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion.
Pour un juif de cette époque, pour les auditeurs de Jésus, le samaritain est à la fois l’ennemi voisin, le traitre qui a renié son peuple et l’apostat qui a renié la vraie foi. Jésus donne en exemple la personne improbable et même inacceptable. Cette parabole nous prépare déjà à la parabole des deux fils (qui ne sera racontée qu’au chapitre 15 de saint Luc) où le père voit son fils revenir ruiné et affamé et est saisi de compassion :
Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion (Lc 15, 20)
Là encore, il y a le réalisme, beaucoup de samaritains prenaient plutôt la route du Jourdain que de traverser la montage pour repartir de Jérusalem vers la Samarie.
Mais la lecture spirituelle nous fait voir, dans l’étranger qui relève l’homme blessé, le Fils de Dieu qui n’est pas homme mais qui se penche vers lui jusqu’à lui devenir semblable, et qui va ainsi le guérir et le sauver.
Et dans la lecture mystique, le Christ a été roué par les fils de son peuple, sa mort n’a trouvé qu’indifférence et mépris dans le cœur des chefs de ce peuple, mais ce sont donc les nations qui sauront reconnaître en lui le Sauveur et faire que son sacrifice ne soit pas vain. Ainsi l’Eglise, comme nouveau peuple de Dieu, vient de l’étranger et non du peuple juif !
Et nous ? Pouvons-nous accueillir la lumière et la Parole de Dieu même des personnes les plus improbables ? aurons-nous assez d’humilité pour cela ? Et comme baptisés, saurons-nous faire vivre le Corps du Christ en prenant compassion de nos frères et en participant par nos sacrifices aux souffrances du Christ en Croix ?
34 Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ;
Le vin pour laver et purifier, l’huile pour adoucir et renforcer. Là encore, c’est très réaliste. Jésus insiste sur la profusion des soins pour montrer jusqu’où doit aller l’amour du prochain.
Mais L’huile nous renvoie aussi à la bénédiction et à la consécration des prêtres et des rois. Pour nous, il y a le signe du baptême, de la confirmation et l’ordre… Le vin évoque l’Eucharistie… Les sacrements comme moyen de rédemption et de Salut.
Et pour ce qui est de la lecture mystique, l’huile rappelle les prémices offertes à Dieu, comme les parfums qui brûlent pour lui. Il s’agit donc des prières qui unissent le peuple de Dieu à son Seigneur, même dans son agonie :
37 Il emmena Pierre, ainsi que Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée, et il commença à ressentir tristesse et angoisse.
38 Il leur dit alors : « Mon âme est triste à en mourir. Restez ici et veillez avec moi. » (Mt 26, 37-38)
Le vin nous renvoie à l’offertoire de chaque messe : « fruit de la vigne et du travail des hommes, il deviendra le vin du royaume éternel ». Ainsi sommes-nous partie prenante, associés et intégrés à l’offrande même du Christ.
Et nous ? Vivons-nous des sacrements, autant que nous le pouvons ? Sommes-nous prêts à nous offrir avec le Christ sur l’autel « pour la gloire de Dieu et le Salut du monde » ? Le faisons-nous vraiment ?
puis il le chargea sur sa propre monture,
Là encore, prévaut le réalisme, un homme à-demi mort doit être porté et transporté… Le soigneur ne recule devant aucune difficulté, pas même de faire cette route difficile à pied, par amour pour le blessé.
Du point de vue spirituel, nous savons que le Christ Sauveur s’est fait l’un de nous pour que nous soyons comme lui. Il s’agit donc pour nous d’être reconnu comme des fils de Dieu à l’image de l’unique Fils de Dieu. Passer de la condition de l’homme roué de coup à celle du Fils juché sur sa monture, c’est passer de notre humanité pécheresse à la divinisation des fils rachetés.
Quant à la lecture mystique, elle nous fait contempler le Christ qui emprunte nos chemins, nos faiblesses et malgré tout aussi nos réussites et nos capacités (ce que nous dominons comme nos montures, les animaux dressés ou domestiqués) devenant ainsi, authentiquement homme jusque dans les faiblesses de cette humanité (on peut même reconnaitre dans le samaritain l’âme bonne et dans sa monture le corps, de sorte que le Christ blessé mais chargé sur la monture, c’est le Fils de Dieu rejeté mais qui partage par son Incarnation, notre condition humaine).
Et nous ? Sommes-nous assez généreux pour prendre soin de tout homme dans le besoin ? Avons-nous assez d’espérance pour croire que nous serons un jour en Dieu et avec Lui ? Et avons-nous assez d’amour et de gratitude pour voir le Christ partager nos chemins et nous réjouir de le savoir si proche de nous, jusque dans nos misères les plus grandes ?
le conduisit dans une auberge et prit soin de lui.
Là encore aucun détail n’est négligé, et nous découvrons maintenant en cet homme : prévoyance, sollicitude et compétence dans sa manière de prendre soin de celui qu’il assiste. Voilà jusqu’où doit aller notre service.
D’un point de vue spirituel, l’auberge est l’Eglise dans laquelle le Christ nous fait entrer et dans laquelle Il prend soin de nous par sa Parole et ses sacrements.
Pour la lecture mystique, elle verra dans l’auberge le cœur de chaque disciple où l’humanité convertie et touchée par ce Dieu qui s’est sacrifié pour elle conduit le Fils offert en sacrifice. L’amour du disciple est le seul soin que l’on puisse apporter au sacré cœur de Celui qui a été bafoué par les siens pour qui Il s’offrait pourtant en sacrifice de réconciliation.
Et nous ? Savons-nous rechercher toujours plus à mettre nos compétences et nos qualités au service du bien commun, au service de tous et de chacun ? Trouvons-nous dans l’Eglise le havre de paix dont nous avons besoin pour aller à la rencontre de Dieu ? Savons-nous y découvrir la nourriture nécessaire pour faire ce voyage ? Avons-nous enfin un cœur suffisamment aimant pour en faire le temple de Dieu comme lui-même nous y invite :
20 Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. (Ap 3, 20)
35 Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : “Prends soin de lui ;
Dans la lecture littérale, morale et concrète, nous franchissons encore un pas : il ne s’agit plus seulement de donner du temps ou de l’énergie, plus seulement de donner de ses compétences et aptitudes, mais de donner tout ce qu’on a, même ses richesses, pour celui que l’on sert. S’il avait eu plus, pourquoi aurait-il donné seulement cela en promettant un complément ultérieur. Il donne tout !
Au niveau spirituel, les deux pièces que donne le Christ pour le soin de l’humanité sont souvent comprises comme les deux sacrements : la porte et le sommet, le baptême et l’Eucharistie. Mais on y voit parfois les sacrements qui soignent et prennent soin de notre vie, les deux que nous pouvons recevoir régulièrement : Eucharistie et pardon. Et on va parfois chercher plus large en parlant de la Parole et des sacrements. L’aubergiste est alors le chrétien qui, au nom du Christ, permet à tout homme de bénéficier des moyens du salut.
Dans la lecture mystique, c’est à nous de prendre soin du Christ qui s’est livré pour nous. Dans notre cœur (charité), les deux trésors qui permettront de redonner au Christ sacrifié toute sa vigueur car notre humanité, accueillant son amour, sera sauvée : c’est la foi et l’Espérance. La foi nous fait connaître Dieu et son projet d’amour sur nous, de sorte que ce moribond (le Christ en Croix) n’est plus abandonné mais très aimé et accueilli : il est ressuscité pour nous. L’Espérance nous fait adhérer au mystère, de sorte qu’associés à ses souffrances, nous soyons aussi associés à son triomphe. L’aubergiste est l’Esprit qui règne dans le cœur des croyants et qui par sa vie et ses dons rend la foi et l’Espérance vivantes et vivifiantes. De même que les deux pièces ne serviraient à rien s’il n’y avait une auberge et un aubergiste, de même la foi et l’espérance sans la charité et sans la vie de l’Esprit ne serait rien.
Et nous ? Jusqu’où sommes-nous prêts à donner ? Reconnaissons-nous dans la Parole et les sacrements des trésors indispensables à notre vie ? En usons-nous ainsi ? Vivons-nous aussi des trois vertus de la Foi, l’Espérance et la Charité ? Vivons-nous dans l’Esprit ?
tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.”
La lecture morale et concrète nous invite à voir une nouvelle série de qualités aux serviteurs authentiques : la persévérance et la fidélité : même s’il doit partir, il n’abandonne pas, il n’oublie pas. Et il repassera pour vérifier et s’assurer que désormais tout va bien.
La lecture spirituelle nous comble de joie : le Seigneur promet son retour, nous savons ainsi que nous ne sommes pas abandonnés, nous entrons dans l’Espérance de la Parousie, la fin du monde, le triomphe ultime du Christ qui revient dans la gloire et solde tout compte avec le diable et ses anges, avec le mal et la mort. Nous savons qu’alors rien ne manquera à ceux qui sont amis de Dieu.
La lecture mystique invite encore à autre chose : le Christ est dans nos cœurs, nous lui offrons notre foi et notre espérance dans la charité et nous confions à l’Esprit Saint d’affermir cette présence du Sauveur en nous, mais nous savons que nous ne sommes pas encore dans la sainteté, la perfection de l’éternité. Alors, il nous faut promettre, non de rester mais de revenir souvent au Christ. Nous sommes inconstants, notre foi et notre espérance ne suffisent pas mais nous revenons au Christ et nous lui rendons grâce pour tout ce qu’Il fait pour nous, et nous lui offrons ce que nous avons fait loin de lui. Mais nous savons que loin de Dieu nous ne pouvons que pécher. Ce que nous ajouterons donc à notre foi et notre espérance c’est notre cœur contrit et brisé devant lui, ce sont nos péchés pour qu’il les pardonne et nous réconcilie avec son Père. Ainsi le disait déjà le psaume :
18 Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste.
19 Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. (Ps 50, 28-19)
Et nous ? Savons-nous faire preuve de persévérance et de fidélité quand nous travaillons pour nos frères et pour Dieu ?
Sommes-nous plein d’Espérance dans le retour glorieux du Christ à la fin des temps ?
Conscients de nos imperfections, osons-nous offrir à Dieu avec nos pauvres efforts et maigre vertu, nos péché en signe de contrition, de repentir et de réconciliation ?
36 Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? »
Après la parabole, l’interrogation, c’est toujours la même pédagogie du Christ. Notez pourtant une chose étonnante : le docteur demande « qui est mon prochain » pour savoir qui il doit aimer et donc servir. Mais Jésus demande qui a été le prochain de l’homme blessé. Il invite donc ce docteur à se reconnaitre, non dans le samaritain, mais dans l’homme blessé ! Et peut-être faut il aller encore plus loin en disant qu’être le prochain n’est pas tant aimer que se laisser aimer car le samaritain est le prochain de l’homme blessé, il est celui que le blessé aimera par reconnaissance pour tout ce qu’il a fait. On peut peut-être encore dire que la relation de « prochain » est toujours réciproque : si je suis le prochain de quelqu’un, alors il devient le mien et inversement s’il est mon prochain, alors je suis le sien.
Toutes ces interprétations possibles, probables et complémentaires nous poussant à comprendre ce message du Christ : l’important n’est pas tant de savoir qui est ton prochain, mais plutôt de chercher à te faire proche de tout homme.
Et nous ? pouvons-nous vivre cela ou du moins essayer ?
37 Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. »
Cet homme est honnête et sincère, il n’esquive pas la demande. Il répond et prend position. Il aurait été facile de contester : « ce n’est pas le samaritain qui est le prochain du blessé mais le blessé qui est le prochain du samaritain », ou de mépriser ; « c’est une histoire pour les enfants, la question et trop évidente, tu veux me manipuler ». Mais non, il répond et prend position, il veut recevoir l’enseignement et l’intégrer, il n’ergote pas comme s’il était trop savant pour cela, il ne refuse pas comme si c’était indigne de lui. Il répond et vit ainsi jusqu’au bout son dialogue avec le maitre qui va le confirmer dans sa recherche.
Et nous ? Aurons-nous cette simplicité et cette humilité pour nous laisser enseigner par le Seigneur ? Nous accrochons-nous à ce que nous croyons savoir ou à nos fiertés plutôt que de laisser le Seigneur nous toucher et nous convertir ?
Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »
De quoi parle Jésus ? Que veut dire : « fais de même » ? S’agit-il de faire preuve de pitié ? s’agit-il de devenir le prochain des pauvres et des malheureux ? S’agit-il de ne pas chercher qui est son prochain mais d’accueillir toute personne comme un prochain ? S’agit-il de montrer à tous qu’ils sont nos prochains, que nous sommes leurs prochains ? Sans doute un peu de tout cela et peut-être plus encore…
Alors ? A nous de nous mettre à la place de ce docteur pour recevoir cet enseignement et le comprendre comme Dieu voudra bien nous l’expliquer.
En guise de conclusion : Voici qu’une épreuve, un défi ou un piège tendu contre le Christ devient l’occasion de recevoir son enseignement. Pour cela, il a fallu que l’interrogateur se montre honnête et impliqué dans le dialogue. Mais alors, le Christ avec une pédagogie très fine l’amène à proclamer la grandeur de l’amour et à reconnaître que l’amour véritable n’est pas limité, qu’il s’offre et même s’impose à tous.
La parabole, peut-être lue comme une histoire réaliste dont la morale est claire, apporte alors de multiples précisions sur les qualités requises pour être un bon serviteur, un vrai prochain : c’est la lecture préférée des commentateurs modernes.
Elle peut être interprétée spirituellement. Elle nous fait alors contempler le Christ qui prend soin de nous et nous enseigne à espérer, à découvrir les richesses de Salut que le Seigneur met à notre disposition pour nous en servir et devenir aptes à recevoir sa Rédemption. C’est la lecture qu’en ont fait les pères de l’Eglises et souvent les auteurs médiévaux.
Elle peut être encore lue de façon plus mystique, découvrant alors tout le mystère pascal annoncé, non pour être connu à l’avance, mais pour être accueilli et vécu dans une communion la plus profonde possible avec Celui qui s’offre pour nous. Cette lecture nous montre la richesse d’un texte dont nous n’aurons jamais fini de faire le tour. D’autres lectures seraient sans doute envisageables : et si le Christ n’était ni le Samaritain, ni l’homme blessé mais plutôt l’aubergiste (ne devons-nous pas tous finir dans la demeure du Père ?), et s’il était la route sur laquelle tout cela s’est produit (il dit lui-même : je suis le chemin… (Jn 14, 6)) et s’il y avait encore d’autres interprétation auxquelles nous ne pensons pas maintenant ? N’est-ce pas le propre de la Parole de nous emmener toujours plus loin ? N’est-ce pas là la manifestation de la richesse insondable de cette Parole ? aurons-nous la patience et l’humilité de continuer à chercher, même si ce que nous avons déjà trouvé nous convient, nous ravit ?